L’échec d’En Nahdha dans l’exercice du pouvoir était prévisible, aujourd’hui il est patent. Ses raisons objectives sont nombreuses : l’inexpérience de presque tous ses cadres dans la gestion politique pratique ; leur déconnexion de la réalité du pays ; un certain dépit historique commandant souvent leur façon d’être et de faire avec leurs concitoyens, surtout leurs pairs politiques ; des divergences internes majeures trop longtemps contenues pour sauvegarder l’apparence de cohérence et de cohésion, dont le Mouvement cherche à se faire fort en comparaison avec les autres partis politiques, surtout qu’il a réussi, dans le cafouillage du début de 2011 et grâce surtout à une hystérie déraisonnée de la gauche, à écarter le seul parti à même de rivaliser avec lui en la matière… Il y aurait à évoquer d’autres raisons à l’effet moins perceptible mais non moins effectives, on y mettrait alors un certain cloisonnement idéologique fondamentalement réactionnaire mais biaisant selon la circonstance avec les outils et les slogans de la modernité comme la démocratie, l’ouverture, la tolérance, le partage, le dialogue, etc.
Ainsi donc, la deuxième décennie du XXI° siècle en Tunisie aura été celle du pouvoir d’En Nahdha et de son échec, quoi qu’en disent aujourd’hui ses leaders et certains de ses militants pour ne pas le reconnaître sous prétexte de certains partages biaisés et minés du pouvoir avec d’autres partis qui, d’ailleurs, en ont fait les frais de façon mortelle. En effet tous ceux s’étant alliés au Mouvement islamiste ont fini dans les isoloirs des partis, dans une sorte de mort clinique. Certes, la responsabilité de l’état actuel d’une faillite caractérisée de la Tunisie dans le processus dit de « transition démocratique » et dans la relance de la machine du développement est largement partagée, à plusieurs niveaux et par tous les actants politiques et civils, mais la conduite effective du pays et la gestion de tout le processus était entre les mains du mouvement En Enahdha, de façon déclarée et/ou sous cape.
Ne l’oublions pas, dans ledit « printemps arabe » aux tempêtes ravageuses, c’est sur le mouvement islamiste que les forces étrangères avaient misé, avec force appuis matériels, médiatiques, politiques et même militaires (souvenons-nous des mercenaires venus perpétrer des crimes gratuits en 2011 afin de conduire à bon port le plan qui était préalablement tracé pour nous, puis pour les pays de la région). Cela dit, il ne conviendrait pas d’occulter les problèmes internes de la première décennie du nouveau siècle, car c’est ces problèmes qui avaient favorisé le plan international dont le déclenchement était initialement prévu dans un autre pays. C’est donc pour cela que, dans sa déroute du 25 juillet 2021, le mouvement En Nahdha, naïvement suivi par des agents de pacotille, a eu recours aux étrangers auquel la nouvelle stratégie géopolitique a dicté la prudence, voire une distance certaine à l’égard de l’islamisme politique que cette stratégie préfèrerait circonscrire dans un cadre fermé et bien déterminé en tant que tel, l’Afghanistan par exemple, quitte à instaurer avec lui un dialogue (Cf. les derniers propos du russe Lavrov Sergueï Viktorovitch, sur la même voie que les Américains), plutôt que de le mêler puissamment à une civilité entendue comme la caractéristique idoine des sociétés modernes à aspiration démocratique.
Force est de souligner que, dès le départ de son exercice du pouvoir aux nombreux déguisements, En Nahdha a multiplié les maladresses, à commencer par la répartition des trois présidences représentatives du pouvoir de l’Etat, jusqu’aux dernières manigances visant à destituer le président de la République par une décision de l’ARP, en passant par la conduite par trop problématique de la constitution de 2014 (la question de la chariaâ ayant été sournoisement brandie pour mieux marchander le reste), dite la meilleure du monde par tromperie ou par inconscience des pièges enfouis entre ses mots et ses lignes.
Aujourd’hui donc, les conflits internes à ce mouvement, déjà sortis de leur catimini il y a plusieurs mois, ont éclaté au grand jour, surtout par la démission récente des 113, à un moment crucial qu’il importe d’analyser peut-être. Cela a donc créé un nouveau contexte pour les militants de ce mouvement et de nouvelles possibilités. Convaincu, pour ma part, que ce nouveau processus me concerne et nous concerne tous en Tunisie, au vu de ce que notre pays avait enduré du fait des maladresses et des obstinations d’En Nahdha, je me permettrais d’avancer modestement une question et une amorce de proposition, étant entendu que ce sont les concernés qui restent maîtres à bord, même s’il est toujours de bonne facture de rester à l’écoute d’autrui, aussi différent soit-il.
La question première et essentielle censée se poser et s’imposer même à l’aile dissidente de ce Mouvement, est d’ordre idéologique, en rapport à la question du culte. Les anciens nahdhaouis réfractaires sont-ils capables d’admettre finalement que l’islam politique est une manipulation aux effets aussi pervers que divers et que l’Islam reste la religion de presque tous les Tunisiens dans cette foi profonde en Dieu nullement évaluable par un tiers puisque, dans l’absolu, Dieu seul sait ce qu’il en est des consciences et des intentions des gens et lui seul a la juste mesure et la puissance juste de les évaluer ? Hors de cette conviction, les dernières démissions resteraient irrévocablement soumises aux règles de l’endoctrinement cultuel de la scène politique et entreraient dans une autre stratégie permettant de sauver la face et de redonner pied à leur idéologie, à côté des mécontents des autres parties politiques et civiles disposées à leur ouvrir les bras de nouveau. La présence des nahdhaouis devant le Palmarium le 26 septembre 2021 entre dans cette stratégie du rachat sous prétexte de défense de la démocratie, un argument brandi aussi par l’un des moins démocratiques des cadres d’En Nahdha.
Ne commettons cependant pas la méprise de condamner avant de juger sur les actes, même si souvent on dit que le passé éclaire l’avenir. Humainement, il vaut mieux rester dans la conviction que l’individu, le citoyen, est un être historique qui peut changer et revoir ses vérités avec le temps et le changement des contextes. Ne dit-on pas : « L’homme qui est raisonnable s’adapte au monde ; celui qui ne l’est pas essaie d’adapter le monde à lui-même » ? Nous pensons donc que les dissidents d’En Nahdha sont appelés à s’adapter au contexte national plutôt qu’à chercher à importer un autre modèle pour une Tunisie solidement ancrée dans son identité et dans ses valeurs inaliénables. Cela convenu, les dissidents d’En Nahdha gagneraient à se déclarer et à agir en tant que mouvement politique civil, avec tout ce que cela suppose ; ce qui ne les empêche pas de puiser dans les valeurs et la pensée de la culture arabo-musulmane en tant que référence historique et intellectuelle.
Dès lors, un nouveau parti s’impose à ce mouvement s’il veut s’impliquer dans l’action politique nationale et ce parti gagnerait à éviter tout affichage islamiste collant à son nom, à ses slogans et à son action, même si, comme dit précédemment, son âme reste nourrie des valeurs humanistes de l’Islam, réactualisées et contextualisées. « Islam », on le sait, n’est pas étranger à « Salam » (paix) ; pourquoi ne pas concevoir alors un PPDD : Parti pour la Paix Démocratique et le Développement (حزب السلام الديمقراطي والتنمية) ? Question à méditer pour les concernés !
Attendons voir et restons optimiste en disant : Demain est un autre jour !
(Article publié le 28-9-2021 par le journal Le Temps, de Tunisie)