Mansour M’HENNI
Le 25 juillet 2021, en réponse ou en coordination avec une large dynamique contestataire du régime de gouvernement et de son rendement, le Président de la République a pris des décisions radicales et a déclaré l’état d’exception pour une rectification du processus démocratique en Tunisie.
Force est d’avouer que cet acte audacieux a été pressenti comme un acte salutaire après une décennie marquée par le délabrement de l’Etat et la détérioration de l’économie du pays et des conditions sociales des citoyens. Même le seul acquis reconnu comme tel, en l’occurrence celui de la liberté d’expression, a fini par s’effriter en tant que valeur pour se liquéfier en matière gluante entre les mains des prestidigitateurs démagogues, des manipulateurs de pantins et des lobbyistes machiavéliques. A ce constat de chute morale et politique, l’opinion publique tunisienne, dans son écrasante majorité, a associé un symbole représentatif, l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) et à travers elle le texte même de la constitution de 2014.
C’est dire pourquoi, à part l’attitude explicable d’En-Nahdha et ses alliés ou celle par trop puriste des débatteurs constitutionnalistes, les décisions présidentielles du jour de la République ont vite pris une valeur symbolique importante et ont fédéré autour du chef de l’exécutif l’écrasante majorité des citoyens et des intellectuels. A l’étranger, même les pays en connivence historique avec l’islamisme politique n’ont pas osé aller au-delà de ce que permettait la complaisance formelle avec leurs alliés en perte de crédibilité dans le pays où ils ont raté l’occasion de faire leurs preuves dans l’exercice du pouvoir.
N’empêche que dans la large masse de soutien à la démarche présidentielle, certains doutes persistaient, parfois franchement exprimés, parfois timidement insinués. A part les inconditionnels, tout le monde attendait, qui dans l’urgence et qui dans l’acceptation des délais raisonnables, le nouveau gouvernement et la feuille de route du Président. Certaines maladresses de la conduite des procédures ont marqué cette période d’attente, accentuant l’indécision des sceptiques. Dans la partie adverse, on se réorganise et on reprend des forces pour s’opposer à la logique du coup d’Etat et imposer un retour au fonctionnement normal des institutions et un dialogue national. Quant au Président, il reste catégorique quant au changement radical, préconisé mais non encore défini, en tant que condition du retour à la normale. C’est dire que la situation tend à devenir intenable et qu’il revient à Kaïs Saïed de nommer très vite son gouvernement, de présenter sa feuille de route et d’en expliquer les tenants et les aboutissants avec un langage accessible à tous et dans une rationalité plus logique que rhétorique.
Il importe de préciser que cette période d’attente a donné lieu à une littérature riche en idées, en propositions et en indications préventives. L’équipe présidentielle aurait pu et pourrait encore en tirer profit pour tracer les traits fondamentaux de la feuille de route attendue et même pour en esquisser les dérivations particulières. Quant à l’équipe gouvernementale, si elle est entendue dans l’esprit d’une stricte et sincère collaboration avec le chef de l’exécutif, autrement dit le Président de la République, l’initiateur du changement en réponse à une revendication populaire, elle ne saurait donc rester tributaire de l’hésitation présidentielle ou de celle des candidats proposés pour la diriger. Il suffirait de s’entendre sur trois personnalités d’expérience et de conviction pour les grandes lignes de conduites de trois secteurs importants et prioritaires : 1 – la finance et l’économie sociale ; 2 – la sécurité et la lutte contre le terrorisme et la corruption ; 3 – la diplomatie. L’un des trois serait chef du gouvernement et les deux autres ministres d’Etat. Avec pour consigne et règle essentielle, la solidarité gouvernementale et la transparence dans la gouvernance, dans les règles du droit et de l’efficience.