Nous voici de nouveau devant la grande question des médias dans les visions variées, souvent conflictuelles, de ceux qui, tous, prétendent penser et agir en vue de garantir à l’État et à son peuple les droits et les devoirs nécessaires pour une société se disant démocratique ou essayant de s’inscrire dans le processus de démocratisation.
Curieusement, dans ce genre de situation, avant même les professionnels du secteur, ce sont souvent “les gens du droit” qui occupent l’avant-scène du paysage, donnant l’impression qu’ils sont les plus habilités à diriger les gens et les populations. En bons manipulateurs du discours, ils sortent toute la rhétorique de leur spécialité et y ajoutent ce qu’ils croient à même de mieux servir “leur cause” et surtout l’image héroïque qu’ils cherchent toujours à gagner.
Disons-le d’emblée pour éviter les malentendus : loin de nous l’idée de leur dénier de telles actions qui leur reviendraient de droit, dans un processus de démocratisation, encore faut-il que de leur côté, eux aussi reconnaissent ce même droit, à tous les autres, même leurs adversaires et qu’ils conçoivent l’interaction à ce propos, non dans la logique de l’idée arrêtée mais dans le rapport d’humilité et de conversation qui relativise toutes les opinions en conversation en vue d’un consensus adapté au contexte. C’est qu’en principe, la reconnaissance de ce même droit pour tous suppose un consensus préalable autour du “contrat social” censé commander les droits et les devoirs citoyens, en rapport à ce qui constitue le bien collectif partagé, et que d’aucuns appellent abusivement “le bien de l’État”. Peut-être conviendrait-il alors d’envisager la mise en forme d’un tel consensus plutôt du côté de la pensée que du côté de la plaidoirie juridique et son artifice rhétorique.
De ce point de vue, le rôle des médias est peut-être à revoir aussi davantage du côté de la pensée sereine et de l’esprit de conversation que du côté du scoop et de la provocation, de ce qu’un ancien responsable de média m’a dit un jour : « quand il n’y a pas un événement, les médias doivent en créer pour travailler » ! La question est alors la suivante : « Et si créer un événement – ex nihilo ou presque – conduisait à mal, voire à catastrophe, serait-ce de l’ordre idoine et responsable des médias ? ». Tout cela nous ramènerait sans doute à l’ancienne idée qui défendait aux avocats d’exercer, parallèlement à leur profession, donc en pigistes, la fonction de chroniqueur dans les médias. Notons que cette idée n’appelait pas à la même mesure concernant les intellectuels du droit, penseurs et enseignants. Est-ce par précaution d’éviter à la cause publique les distances que la fonction de plaidoirie cherche souvent à lui faire prendre vis-à-vis de la pensée, rationalisée autant que possible ?
Il est vrai que le contexte actuel des médias est foncièrement affecté par plusieurs facteurs rendant difficile l’exercice de la fonction. Au centre d’un triangle à trois sommets brûlants, à pouvoirs inégalement répartis mais à complicités suspectes, en l’occurrence la politique, l’argent et l’intégrité éthique et intellectuelle, les entreprises et les actants médiatiques sont sujets à de nombreux tiraillements, parfois déchirants car inconciliables du point de vue de l’intégrité. Que faire alors pour que le secteur médiatique ne soit ni corrupteur ni corrompu, ni impérieux ni soumis ?
D’aucuns diraient de l’éloigner de la logique de la plaidoirie viciée par l’amour d’user et d’abuser du beau langage ! Peut-être pas cela seulement ?