Détrompez-vous, ce n’est pas ce que vous avez pensez ! Cette chronique se propose de revenir à l’histoire, ou aux histoires, de trois femmes ayant vécu la première période de la fondation de Carthage et de son essor jusqu’à sa chute, donc entre 814 avant J.-C. et 142 avant J.-C.
Il m’a été donné d’en parler dans d’autres écrits journalistiques de la fin du siècle dernier, aujourd’hui j’y reviens à l’occasion d’une émission radiodiffusée sur JawharaFM et JawharaTV, intitulée « Lumières tunisiennes », dans laquelle l’équipe de production a annoncé sa programmation de deux de ces trois femmes dans le cadre de la grille des programmes en cours. J’y reviens donc sur la demande de l’équipe de production de cette émission avec l’espoir d’attirer l’attention sur des aspects de cette mémoire, importants à mon sens, surtout parce qu’ils me paraissent à même d’éclairer l’avenir. Ces trois femmes, dont les deux premières sont au programme des « Lumières tunisiennes », sont Elyssa, Sophonisbe et « La Femme d’Hasdrubal ». Elles ont en partage le suicide comme issue de leur destin.
Certes la mort est la fin de toute vie, mais l’auto-immolation reste toujours une grande question, sans doute la question du comment, du pourquoi ou du pour quoi s’immole-t-on. D’aucuns diraient : je me suicide parce que je ne sers à rien. D’autres répliqueraient : je me fais mourir pour que ma vie serve à quelque chose ! Rappelons-nous la mort de Socrate ! Quelque chose comme quoi, alors ? Comme une leçon à tirer de ma vie et de son aboutissement. C’est le cas de ces trois femmes qui ont balisé l’Histoire de la Grande Carthage : sa naissance ou sa fondation par Elyssa, le début de son déclin avec Sophonisbe et sa chute avec « La femme d’Hasdrubal ». La première s’est immolée par le feu pour ne pas trahir sa promesse de fidélité après avoir évité à sa ville une guerre très risquée. La seconde s’est suicidée pour ne pas tomber entre les mains de l’envahisseur ennemi, mais aussi peut-être par le dépit causé par l’alliance de Massinissa avec Scipion. La troisième s’est jetée, avec ses enfants, dans le feu qui brûlait Carthage sous les yeux de son mari qui s’était livré à l’ennemi.
Que nous importe-t-il de conclure de ces trois destins qui ont jalonné la période la plus rayonnante de notre histoire antique ? D’abord l’amour du pays et l’engagement à le défendre comme valeur et comme terre jusqu’au dernier souffle de l’espoir. Et si, à la fin, la défaite est inéluctable, il faut savoir sauver la dignité, la sienne propre et celle de sa patrie, plutôt que d’accepter la trahison et la soumission. Ensuite que la femme a toujours joué un rôle essentiel dans les moments-clés de notre Histoire et que la promulgation du Code du statut personnel en août 1956, avant même celle de la République, est une sorte de retour d’histoire. D’ailleurs, comme la République elle-même dont la proclamation en juillet 1957 est une sorte de rappel que Carthage a peut-être été la première vraie république de l’Histoire des humains.
De ce point de vue, comme il m’a été donné de l’écrire précédemment, la « Femme d’Hasdrubal » me paraît celle à qui il faudrait le plus rendre hommage, car l’Histoire a finalement privé cette femme de son nom même, la laissant fatalement liée à la trahison et à la défaite de son mari, responsable de l’incinération de la patrie, déjà réduite à un cadavre. D’aucuns la confondent parfois avec Sophonisbe et lui collent son prénom. Mais ainsi retenue par l’Histoire, privée de son prénom, qui est la désignation même de son être, c’est peut-être aussi le signe que malgré sa bravoure et son intelligence, la femme a toujours été, dans l’inconscient collectif, une victime de l’Histoire.