J’avoue m’être réjoui à l’écoute, ce 6 avril 2023, du discours du Président de la République prononcé en commémoration du 23ème anniversaire de la mort du Leader Habib Bourguiba, Allah yarhmou ! Heureuse coïncidence, la veille, nous étions en réunion à distance du comité d’organisation d’un colloque international, intitulé « Habib Bourguiba, une mémoire d’avenir », dont la médiatisation élargie démarrera bientôt.
Le discours présidentiel de jeudi m’a rappelé ma chronique du 02 août 2021, ici même, où j’avais situé la démarche de Kaïs Saïed dans l’analogie symbolique de celle de Bourguiba, même si cela n’a jamais été explicité clairement. Voilà déjà bientôt deux ans pendant lesquels certaines déclarations de l’auteur du coup du 25 juillet 2021 (à chacun de lui donner le qualificatif qui lui convient) ont donné l’impression d’un déni du rôle et de la stature du Zaïm, provoquant des critiques plus ou moins chargées de termes de dénigrement, non seulement chez les opposants, mais parfois chez de simples citoyens. En effet, personne ou presque n’acceptait de prendre ces omissions pour des oublis ou pour des maladresses ; on y voyait une écriture fonctionnelle qu’on interprétait chacun à sa façon. Or voilà que, au-delà de la justice rendue et de la reconnaissance soulignée à Bourguiba, le dernier discours du Président dévoile les principes de base et les choix fondateurs qui ont marqué le génie politique à la fondation de la Tunisie moderne. L’axe central de ce génie réside évidemment dans « l’éducation et l’enseignement », dont tout le reste découle : politique sociale surtout, au profit de la population aux conditions précaires (Emancipation de la femme, santé, hygiène, compensation, gratuité des services vitaux publics, etc..).
Kaïs Saïed semble avoir compris qu’on ne peut pas, comme Bourguiba, fonder une république en ignorant le président-fondateur ou en essayant de nier son mérite comme l’avaient fait Ghannouchi et Marzouki qui finissent en marge de l’Histoire tunisienne édifiante. Mais on ne peut pas le faire non plus en imitant Bourguiba, aveuglément, comme des moutons de Panurge, dans l’ignorance absolue des nouvelles conditions imposées par les temps présents et par la pensée futuriste. « Regarder le passé pour éclairer l’avenir », voilà un dicton à jamais valable et voilà pourquoi Bourguiba est à prendre aujourd’hui pour « une mémoire d’avenir dont il importe de s’inspirer, tout en sachant assez s’en détacher pour pouvoir innover ». Peut-être n’est-il ni des perspectives d’avenir ni de l’intérêt de la mémoire de Bourguiba de songer à l’enfermer dans une idéologie (le « Bourguibisme ») ou un parti qui en dresseraient des limites préjudiciables à son esprit et à son projet civilisationnel. Sans doute gagnerait-on à le maintenir dans son statut de référence de base, au service d’une intelligence dynamique qui pourrait faire de la majorité des Tunisiens des Bourguibiens libres et indépendants.
Quant au président Kaïs Saïed, je me demande s’il est vraiment aussi autiste que le prétendent ses adversaires. Il me paraît même s’inspirer de ces joueurs de football dont la technique se fonde sur l’art du drible : son mouvement premier oriente ses adversaires dans un sens et les induit dans l’illusion de le contrer, pour qu’ils se retrouvent hors du jeu parce que le dribleur est parti ailleurs, dans un autre sens, la balle au pied ! La situation la plus éloquente à ce propos est celle du dernier tapage sur la maladie du président et sur la vacance du pouvoir. D’un coup, le Président a dévoilé chez ses adversaires politiques des réflexes de précipitation qui dénotent leurs limites et dévoilent ce qui passe facilement pour une convoitise du pouvoir au détriment de tout, parfois même aux dépens de l’intérêt du peuple et de son pays.
Il y a encore beaucoup à faire en Tunisie pour qu’elle soit au centre du dévouement et de l’intelligence de ses enfants, tous ses enfants, qui doivent d’abord se débarrasser de plusieurs complexes et de nombreuses manies afin de pouvoir voyager ensemble, dans la même barque, pour le meilleur et pour le pire.