Chaque fois que la question de la politique actuelle en Tunisie est évoquée avec des amis intellectuels ou chroniqueurs, la réponse est automatique : « On a marre de la politique ! Parlons d’autre chose… ». Puis, petit à petit, en parlant de tout et de n’importe quoi, on se retrouve à parler politique.
J’avoue que, moi aussi, il m’arrive souvent de me demander pourquoi je n’arrêterais pas d’en parler, tellement la parole tend à devenir inutilement répétitive, et tellement le cours, parfois absurde, des événements pousse à dire la chose et son contraire presque, du fait des renversements des situations. Mais, moi aussi, je me retrouve à parler politique, un peu malgré moi, ne sachant si c’est par un besoin personnel ou par le sentiment d’une nécessité collective. De fait donc, on peut fuir la politique, mais on ne saurait échapper au politique.
Pourquoi donc fuir son destin politique et renoncer à son droit et à son devoir non seulement de s’y intéresser, mais également d’en parler à chaque fois que c’est possible, voire même de s’y impliquer de la façon jugée convenable ? Il resterait cependant à trouver le meilleur moyen d’en parler, pour mieux communiquer, ou d’y agir rationnellement et constructivement. Disons-le d’emblée : communiquer ne consiste pas à embellir son discours de tous les processus oratoires et rhétoriques afin de convaincre l’autre de son opinion, ce qui serait une autre forme de dictature ; communiquer, c’est échanger des avis et des idées pour se corriger l’un l’autre et pour avancer ensemble. C’est pourquoi tous les dialogues qu’on nous expose ou qu’on nous propose, depuis un certain temps déjà, ne sont que de la poudre aux yeux ; et c’est pourquoi j’ai toujours appelé, depuis une décennie au moins, à revenir au concept de conversation, dans son sens premier, cette intercommunication horizontale où le droit de participation de chacun est garanti dans tout le respect dû à sa personne et à son propos.
Malheureusement, le paysage politique et le paysage médiatique tunisiens tendent à devenir, ou ils sont déjà, une scène pernicieusement montée pour la cacophonie, pour l’insulte et la diffamation de n’importe qui, par n’importe qui, parfois sans intérêt évident, de façon presque gratuite (à moins de soupçonner des dessous de table), juste pour ce plaisir maniaque de s’imposer en spectacle. Les réseaux sociaux sont alors, dans cette logique, des espaces et des moyens faciles pour faire régner cette façon d’être et de prétendre « comme-uniquer », car chacun se croyant « unique » dans son intelligence et dans son éloquence.
Tunisiens de tous les bords, il est temps de converser pour ne pas voir sombrer le navire qui nous contient tous sans discrimination. Comme les partis politiques, en tout cas ceux qui sont les plus visibles sans pour autant être crédibles, il est sans doute temps d’appeler à une mobilisation de la société civile, surtout son tissu associatif, afin qu’un débat serein, presque désidéologisé, s’instaure en tant culture pour convenir des grandes questions de l’instant présent, ainsi que des objectifs les plus urgent, pour fixer aussi des règles éthiques à même de conduire ces questions vers les issues les plus favorables pour la communauté citoyenne.