Je ne me lasserai jamais d’évoquer l’image de Bourguiba et son statut de personnalité – plus même, de personnage – incontournable dans l’histoire de la Tunisie quel qu’en soit le récit. Je rappelle encore que, dans ma jeunesse, j’étais un opposant à son régime, mais à nul instant je n’ai été jusqu’à lui nier ses mérites ou manquer à les apprécier à leur juste valeur. Ma conviction est toujours aussi inébranlable quant au fait que Bourguiba, quel que soit l’avis que nous ayons intériorisé de sa gouvernance, prolongée outre mesure, ne peut être l’objet que de notre respect profond et d’une infatigable mise en valeur.
Je n’ai toujours pas oublié comment j’avais reçu l’information de sa mort, par une télévision étrangère, pendant que j’étais au Val d’Aoste, invité des Journées de la Francophonie avec, entre autres feu Salah Stétié et le sympathique Danny Laferrière. Je devais communiquer ce jour-là, dans le Parlement du Val d’Aoste, avec les principaux invités et j’avais pris la décision de ne pas le faire si rien n’était fait ou dit pour rendre hommage à l’un des principaux fondateurs de l’ACCT qui allait devenir plus tard l’OIF. Heureusement, l’organisateur de l’événement, feu Sergio Zoppi, prit le micro à l’ouverture de la séance, annonça tristement la nouvelle avec force éloges au disparu et invita tous les présents à observer une minute de silence, en hommage au « précieux homme politique hors pair, fondateur de la Tunisie moderne ». Je ne vous décris pas la fierté que je ressentais ni la tristesse, toutes traduites par un flot de larmes. Telle est et restera pour moi la Tunisie !
Ce 6 avril 2022, nombreux sont les citoyens fidèles à leur mémoire historique au-delà des conflits et des intérêts variés ; ceux-là commémorent le décès de Bourguiba, chacun à sa manière, ne serait-ce que par un doux souvenir aux effets divers. Et c’est à ce titre que, malgré les divergences que je peux avoir avec le Président Kaïs Saïed à propos de certaines de ses façons de faire, je ne peux que saluer son geste régulier de recueillement sur la tombe du « fondateur de la Tunisie moderne », à l’occasion de l’anniversaire de sa mort. Il y a dans cet acte un message que j’espère dans la juste interprétation que j’en fais, celui d’une fidélité de principe à l’esprit initiateur de la Tunisie moderne, une Tunisie du progrès, de la tolérance et du respect, structurée en un Etat civil ne rompant pas avec ses composantes identitaires mais les repensant et les concevant dans la mobilité de la vie et dans l’adaptation au temps présent. Une Tunisie où le pouvoir sert et ne cherche pas à se servir, où la citoyenneté œuvre inlassablement à produire et à unir.
Je ne doute pas d’une profonde parenté avec le projet bourguibien, que Kaïs Saïed me semble penser et ressentir à propos de son propre projet politique, notamment en termes de proximité affective et de gestion dans la conduite des réformes de l’Etat. Encore faut-il penser cela dans l’idée incontournable pour Bourguiba, celle de l’unité nationale qui serait à repenser de façon à corriger sa démarche et à lui éviter les abus à la fin de son parcours. Autrement dit, une unité nationale compatible avec toutes les différences qui font l’humanité des êtres humains : différences de genre, de couleur, d’ethnie, de culte, etc. C’est-à-dire une unité nationale dans la vraie démocratie, ou ce qui lui ressemblerait le plus !
Cela n’est ni inconcevable ni impossible pour l’intelligence tunisienne, cela serait même dans la nature de la tunisianité. Peut-être est-ce par cela qu’il faut imaginer notre sortie de la crise actuelle !
Bravo si Mansour