Par mansour M’henni
Le propre d’une chronique, c’est que, d’un instant à l’autre, elle peut virer d’un sujet à l’autre. Tel est le cas de celle-ci qui se préparait à aborder un sujet culturel et qui a subitement basculé du côté social, à supposer que les questions sociales ne sont pas foncièrement culturelles, ce que je ne saurais concéder.
Voilà donc que, sur un fond de grands débats et d’informations variées autour de l’imminence d’un vaccin largement efficace contre la covid 19, un incident qui m’a été rapporté par un ami de confiance me branche sur l’éthique pharmaceutique à propos du vaccin de la grippe. Voici le récit, raconté par un ami qui est comme moi-même, que je ne fais que traduire de l’arabe en langage écrit :
« Tu sais bien que mon âge est nettement supérieur à 65 ans, le seuil retenu pour être considéré comme prioritaire à la fois dans l’application des règles et des précautions rattachées au confinement ainsi que dans l’ordre de distribution du vaccin contre la grippe, surtout que je suis aussi un malade chronique. Discipliné et prévenant comme je suis, je tenais à me faire vacciner contre la grippe, le plus rapidement possible. Il m’a donc paru logique d’aller voir ma « pharmacie de service », puisque c’est là que j’achète périodiquement tous mes médicaments, aussi chroniques pour ma maladie qu’ils sont pesants et éprouvants pour ma bourse. Ma pharmacie de service, je voulais la croire digne de confiance, d’autant plus que c’est une pharmacie de renommée dans le gouvernorat de La Manouba, une renommée qui nous ferait penser à celle du stade Chedly Zouiten et de toute la symbolique qu’il porterait !
Je vais donc me renseigner et on me dit au comptoir qu’un premier lot est épuisé et que je devais m’inscrire si je tenais à être servi. Je confirme et la dame de la caisse sort sa liste où il y avait à peine une dizaine de noms. Je me fais inscrire pour deux vaccins, l’un pour moi et l’autre pour ma femme, qui est dans le même cas que moi. On me redemande mon numéro de téléphone que je donne volontiers et l’on me dit de revenir dans une quinzaine de jours. Deux semaines plus tard je repasse une première fois, puis une seconde fois lors de laquelle on me précise que le vaccin viendrait une semaine plus tard. J’insiste donc sur mon besoin souligné de ces vaccins. Je demande qu’on revérifie bien si mon nom est toujours inscrit sur la liste. La dame vérifie et confirme en me lisant mon numéro de téléphone : c’est bien lui. Elle me dit alors que certains clients inscrits ont renoncé au vaccin quand on leur a dit leur prix, en l’occurrence 50 dinars l’unité. J’ai dit que la question pour moi n’est pas une question de prix et que je prendrai mes deux vaccins à ce prix indiqué.
Deux jours avant le délai d’une semaine que m’avait fixé la dame à la caisse, j’entends à la radio un responsable gouvernemental dire que 170.000 vaccins ont été distribués à concurrence de 80 par pharmacie, en moyenne. Je cours vite m’enquérir de mon vaccin et à ma grande surprise, la réponse : « Non, c’est fini, tout a été vendu ». Tu imagines dans quel état je me suis retrouvé… »
J’avoue que cette histoire m’inquiète gravement, surtout que ce cas est loin d’être unique et isolé. D’abord, elle affecte le secteur médical (et les pharmaciens en font partie, qu’on le veuille ou non) d’une incrédibilité dangereuse pour la société, à la fois sur le plan éthique et sur d’autres plans aussi. Je crois même que la tendance à la corruption naît dans ce type de comportement.
Et je vois alors ce qui nous attend avec le vaccin contre la covid, si ce dernier nous laisse la chance d’y arriver. On déclare aujourd’hui que la Tunisie sera l’un des premiers pays à se procurer un bon nombre de vaccins et l’on parle de deux millions. C’est bien ! N’empêche que les Tunisiens sont presque six fois plus nombreux. Dès lors, comment rationaliser la distribution de ces vaccins avec des pharmaciens trafiquants ? Sans doute faudra-t-il intensifier le contrôle et prendre des sanctions sévères contre ces gens, les organisations professionnelles et les associations citoyennes ont aussi leur rôle à jouer à côté des institutions étatiques.
Préparons la plateforme de vaccination contre la covid de manière plus étudiée et mieux conduite que la campagne menée pour parer à ses premiers ravages. Et œuvrons, par la même, à soigner notre société de la corruption et ses variantes les plus diverses, ce mal aussi endémique que les fléaux naturels, sinon plus grave.