La scène culturelle en Tunisie, et littéraire surtout, est en effervescence depuis plusieurs jours suite à l’attribution, à un poète libanais, du prix Abou el Kacem Chebbi pour la poésie, initié et organisé par la Banque de Tunisie.
S’il est permis de schématiser la polémique, on mettrait à la tête de chaque clan, une des figures de proue de la poésie tunisienne de langue arabe : d’un côté le poète Moncef Louhaïbi en tant que président du jury, de l’autre Moncef Mezghanni en tant que défenseur énergique de ce qu’il considère comme l’esprit de fond de ce prix, particulièrement en rapport à la personnalité de Chebbi et à sa valeur symbolique pour la poésie tunisienne d’abord, mais aussi pour la tunisianité tout court. Entre les deux « Moncef », peut-on trancher en faveur de l’un contre l’autre, en le jugeant plus « équitable », comme son prénom le suppose ?
Un premier grief a été avancé pour souligner ce qui est relevé comme un dysfonctionnement de cette édition du prix, en l’occurrence la modestie de la poésie du lauréat et le caractère peu influent de son expérience que d’aucuns ne classeraient pas dans l’écriture poétique, ni en vers ni en prose. En effet, pour eux, Charbel Dagher, car c’est de lui qu’il s’agit, « n’a jamais été confirmé comme un poète d’un certain poids dans le domaine. Il est certes connu en Tunisie depuis près de trois décennies, mais il l’est en tant que colloquant dans des manifestations scientifiques autour de différentes questions relevant du culturel le plus large ; mais connu aussi par un opportunisme relationnel le poussant à s’inscrire et à se mouvoir dans la proximité des personnes jugées influentes, donc de proximité rentable, dût-il pour cela tourner subitement le dos à des amitiés qu’il disait inaliénables » (NDR : A-t-il fait l’excetion ? en 2011, nombreux étaient ceux ayant fait de même).
Voilà une sorte de synthèse de différents commentaires, oraux et écrits, recueillis au fil du suivi des attitudes opposées à cette consécration jugée non conforme à l’éthique supposée présider au fonctionnement du prix Chebbi ! Il ne nous revient pas de valider, ni de réfuter cet argument ; mais on peut croire qu’il n’y a pas de fumée sans feu, compte tenu de la renommée des personnes impliquées dans un sens comme dans l’autre.
Il y a aussi une deuxième question soulevée à ce propos, celle de l’attribution du prix à un Libanais et non à un Tunisien. A ce propos, la question nous semble mal posée car elle dépend des textes régulateurs de ce prix qui, à notre connaissance, a commencé dans le cadre tunisien puis s’est ouvert au cadre maghrébin et enfin au cadre arabe. Cependant, tout n’est pas clair dans cette évolution. En effet, après quatre ans d’interruption en raison du covid, le prix revient avec un nouvel esprit qui permet plusieurs confusions. Il semble même, selon certains, que la participation du lauréat final n’ait pas été annoncée à la date de clôture de la réception des participations, en juin 2024 (ce qui reste à vérifier). Il y aurait aussi un flou concernant les genres concernés par le prix, à croire, selon certains, que l’objet de chaque édition est choisi sur mesure en vue d’une attribution déjà en vue.
Disons pour conclure qu’il n’y a aucun prix objectivement attribué, depuis le Nobel jusqu’au plus modeste des prix initiés par nos entreprises économiques dans une démarche qui sent plus le gain financier (contrairement à ce qu’on peut croire) et, le mot est souvent lancé, le lobbyisme. Faisons quand même contre fortune bon cœur et disons que c’est toujours heureux de trouver des initiateurs de prix littéraires ou artistiques, encore conviendrait-il de les doter des termes les plus clairs, les plus transparents et les plus justifiés de l’honnêteté intellectuelle censée présider à de telles initiatives.