Par Mansour M’henni
Cela fait un bon bout de temps que je voulais écrire un article ou juste une chronique sur la Foire Nationale du Livre Tunisien, mais je me retenais de peur d’être incompris ou de voir mes propos mal interprétés de par mon statut de directeur général de l’édition inaugurale de cette foire, en 2018. J’y viens cette fois pour ce qui me paraît important en vue de pérenniser cette réalisation culturelle importante et d’améliorer ses rendements, tous ses rendements : surtout ceux intellectuels, culturels, économiques et sociaux.
D’abord, force est d’insister sur le caractère intelligent et perspicace de la décision d’instituer cette sympathique et fructueuse manifestation. Pour rendre à César ce qui est à César, la proposition venait de l’Union des éditeurs tunisiens, elle a été soutenue par la Direction générale du livre et a trouvé un écho favorable auprès du ministère. L’Union des écrivains des tunisiens a alors revendiqué son droit de se joindre à l’équipe fondatrice et, me semble-t-il, justice lui a été rendue en l’associant à cette réalisation historique. D’où l’intérêt à mon humble avis, aujourd’hui et demain, de ne pas laisser rompre, de quelque côté que ce soit, cette triple articulation entre le ministère, qui devrait en garder la tutelle, et ses deux partenaires dotés d’un partenariat effectif et entendu, leur permettant une vraie participation partagée et solidaire, sans stratégies de rapports de force ni de marginalisation.
Cela nous conduit à la dernière décision des éditeurs de boycotter le ministère des Affaires culturelles. Ne nous y trompons pas, les éditeurs ne rompront jamais leur lien vital avec l’autorité de tutelle concernant la politique du livre ; leur menace n’a de ce fait que l’effet d’une sensibilisation, ou même d’une pression à même de favoriser la discussion, la conversation, l’échange constructif à propos des intérêts partagés. C’est pourquoi nous saluons la dernière décision ministérielle de reporter la date de la foire et d’inviter tous les concernés à y prendre part, dans leurs pleins droits et devoirs. Cette décision, sereinement conduite, assurera à cette importante manifestation culturelle, mais à tout le reste des interactions de même nature, un esprit sain, un corps sain et un rendement moral et matériel conséquent. Elle instituerait également une nouvelle intelligence de gouvernance que nous osons inscrire dans le cheminement de la démocratisation souhaitée.
Enfin, sans doute en guise de contribution à l’échange des idées autour de la démocratisation de la gouvernance culturelle, j’ose apporter quelques remarques qui seraient à prendre davantage comme une invitation à la réflexion que des critiques dans le sens classique du terme.
On a pu voir, depuis la première édition et jusqu’à ce qu’on a pu voir de l’actuelle, une sorte de changement radical dans les critères de programmation et d’organisation interne tant dans les prix que dans d’autres volets comme les hommages et autres centres d’intérêt. Comme si chaque manifestation collective, et non la foire uniquement, devait se conformer à la vision propre du premier responsable ou d’un petit noyau directionnel, indépendamment d’une vision générale et concertée de l’événement ou de la structure ! A ce propos, l’idée générale que je soutiendrais, c’est de s’entendre sur des piliers fondamentaux qu’on éviterait de changer à tout bout de champ, parfois à la tête du client, et qui constitueraient la plateforme éthique, politique et économique de la foire. Cela conduirait le regard critique aux remarques suivantes :
¤ Pourquoi, par exemple, avoir renoncé au Prix de la traduction quand nous savons combien cet exercice est capital dans toute politique culturelle et académique ? Il serait pertinent, me semble-t-il, conformément au statut de chacune de nos deux foires en la matière, la nationale et l’internationale, de maintenir l’exclusivité de la compétition de traduction aux nationaux pour la foire nationale, et d’ouvrir cette compétition à la dimension internationale soit après le dénouement de la crise économique soit en partenariat avec un organisme international qui sponsoriserait ce prix. Cela ajouterait beaucoup au rayonnement international de notre foire internationale et donnerait plus de cohérence et de pertinence à notre foire nationale.
¤ Pour rester toujours dans la question des prix, peut-être convient-il d’annoncer les critères de dénomination des prix quand on décide de leur donner le nom d’un auteur ou d’un penseur ou d’une personnalité d’un autre ordre ? Faut-il, par exemple, se limiter aux personnalités décédées de chaque genre ouvert à la compétition ou faut-il s’ouvrir sur les vivants ? Dans ce dernier cas, il conviendrait veiller à une indiscutable crédibilité du choix.
D’autres détails mériteraient discussion, réflexion et échange ; nous osons espérer que les débats et les coordinations à venir apporteront assez d’ajustements à la démarche de cette importante manifestation et à sa gouvernance. Il y a assez de bonnes intentions et d’engagement sincère dans les personnes et les structures concernées pour y veiller et y contribuer.
En attendant, disons « bonne continuation » à tous ceux qui ont la responsabilité de réussir une action à intérêt commun !