Aziza ramasse les emballages en plastique pour gagner sa vie et celle de sa fille âgée d’un an et quelques mois. Elle passe presque tous les deux ou trois jours devant chez moi à l’heure où je prends mon café du matin à l’ombre du grand olivier juste à l’entrée du jardin. Dès que j’entends grincer son vieux chariot, je m’empresse d’aller du côté de la cour lui chercher les bouteilles vides jetées par la famille.
Ce matin-là, sa fille qui marchait péniblement derrière le chariot, tétait un biberon de marque que l’on vend assez cher en pharmacie. Aziza me raconta alors qu’elle l’avait trouvé au milieu des objets ramassés, qu’elle l’avait lavé et bien stérilisé le soir même et que, le lendemain au moment de le remplir, elle constata qu’il contenait déjà un lait délicieux pour bébés. Sa fille n’eut plus besoin par la suite ni du sein de sa maman, ni du mauvais lait que celle-ci lui servait dans des biberons de misère.
- Le plus étonnant, monsieur, poursuivit Aziza, c’est que le lait du nouveau biberon est inépuisable. Ça se remplit tout seul, et pas que de lait : à midi c’est de soupe aux légumes, l’après-midi d’un jus de fruits bien spécial, à l’heure du dîner de jus de volaille et au milieu de la nuit d’une délicieuse compote liquéfiée que mon enfant savoure en plein sommeil.
- Mais alors, il est magique, ce biberon !, lui dis-je ! Est-ce que je peux voir ? Hum !… Il est d’apparence ordinaire. Est-ce que vous pouvez me démontrer comment ça marche, je veux dire comment ça se remplit tout seul, et comment ça diversifie les mets de la petite en fonction des heures de sa tétée.
- Non, monsieur, moi je me contente de laver le biberon après chaque usage. C’est magique comme vous dites. Un don du ciel, vraiment ! Regardez les joues de mon bébé chérie comment elles sont roses et bien arrondies ! Regardez comme tout son corps respire la santé, le bien-être et le bonheur.
Je me retournai alors vers la fille et constatai à quel point son visage était pâle, ses yeux caves et cernés, ses membres décharnés et son maintien fragile.
- Mais, madame, …!
- Mais quoi ? Vous avez cru à l’histoire du biberon magique ? Vous y avez déjà déniché la bonne affaire, la poule aux œufs d’or ! Tenez, le voilà, le biberon magique, faites-en votre nouveau commerce !
Et elle me le jeta violemment à la figure; ce qui m’occasionna deux belles blessures en bas du nez et au menton. Après cette scène, je ne revis plus jamais Aziza et sa fille. En revanche, chaque fois que je me gratte le nez ou le menton à l’endroit des blessures, il en sort comme de très fines gouttelettes d’un lait aigre et très piquant !
BADREDDINE BEN HENDA