Nombreuses sont les valeurs spéciales que le mot « degré » a acquises au cours de son évolution sémantique. Il garde tout de même le sens concret de « pas, marche » (d’un escalier), et abstraitement, celui de « hiérarchie dans la magistrature, dans la considération, dans l’échelle des sons.» En musique, par exemple, les « degrés » désignent, dans la gamme tonale, l’ensemble des sons qui constituent « le cadre dans lequel se bâtit l’œuvre musicale. » C’est au niveau de l’interprétation linguistique que nous situons la présente réflexion. Les verbes « persévérer », « persister », « poursuivre » et « insister » nous serviront de repères.
Selon Roland Barthes, « tout discours est pris dans le jeu des degrés. On peut appeler ce jeu : bathmologie (…) : une science nouvelle, celle des échelonnements de langage (…) : elle enjambera, comme on saute une marche, toute expression. »[1] Les verbes proposés ci-dessus peuvent être appréciés à l’aune de cette science des degrés. Avec « enjamber », on retrouve le sens concret de « degré ». Enjamber (un passage, un obstacle), c’est le franchir ; c’est, -littéralement-, passer par-dessus en étendant la jambe. » Au figuré, « enjamber » signifie « passer rapidement, sans transition d’un domaine à l’autre ; franchir d’un bond. » On peut même penser, lire et écrire par « sauts et par gambades. »
Les verbes « persévérer » et « persister » se ressemblent du point de vue de leur formation lexicale. Ils sont tous les deux formés par l’intensif « per ». Le radical du premier renvoie à «sévère, sérieux » ; celui du second renvoie, lui, à « placer, poser, arrêter, fixer. » Par ailleurs, on peut persévérer dans un choix, une conduite, un désir, un effort, une idée, un projet, une entreprise, une voie, une volonté… Mais, sur le plan ontologique, la vie demeure la singulière force qui « fait persévérer les êtres supérieurs dans leur être. » Ces emplois se croisent avec ceux de « persister », surtout lorsqu’il s’agit de la description d’une attitude. Persister, c’est rester ferme dans sa manière d’agir ; c’est être toujours du même avis. Avec « persister », on insiste davantage sur l’idée de durée et de continuité.
Ainsi, la particule intensive renforce l’idée contenue dans la racine des deux verbes. « Persévérer » et/ou « persister », c’est aussi mettre tout le poids de sa conviction et de sa détermination dans l’exécution d’un projet ou d’une idée, d’où « insister. » Issu de insitera, ce verbe signifie, au concret, « se poser, se placer sur », et au figuré « s’appliquer à, s’attacher à ». « Insister », c’est « s’arrêter sur un point particulier, et persévérer à demander. » Et pour le faire, il faut, -littéralement,- « se mettre debout », « suivre son régime et pointer à mesure ». Dans « insister », in est, rappelons-le, un locatif.
L’idée d’application, d’acharnement et d’attachement dans l’expression de telle ou telle attitude suppose un effort, une énergie, une tension et un accroissement d’intensité. Pour reprendre le mot « degré », on peut dire que l’intensité est un degré d’énergie, de force et de puissance. Le mot s’est d’abord employé pour « augmentation. » Dans un mot, la valeur intensive peut s’exprimer aussi par un adverbe, comme dans « poursuivre », qui signifie « suivre de près, vivement pour atteindre, suivre une action sans relâche, et spécialement, « tenter d’obtenir les faveurs amoureuses d’une femme. » Infatigable, celui qui poursuit ! Pour lui, il n’y a pas de tours inexpugnables.
Tout compte, c’est en persévérant qu’on arrive à tout. La persévérance peut être la clef de tout succès. Mais patatras, il est des risques à cette vertu, quand elle dégénère en opiniâtreté. Heureusement, la persévérance peut venir à bout de cette dérive, puisqu’elle « est la noblesse de l’obstination. » « Ce n’est pas le plus fort et le plus rapide qui aura du succès, mais celui qui n’abandonne pas. » Et, « c’est la durée d’un grand sentiment qui fait l’homme supérieur. » Invincible, celui qui persévère !
[1] R. Barthes, Roland Barthes par Roland Barthes, Paris, Seuil, 1975, p. 71