Un récit de notre collègue Badreddine Ben Henda (défini par l’auteur comme “Conte universitaire”) nous a inspiré l’idée d’initier une chronique baptisée “Fictiréalité”, ouverte à tous les textes du genre. Intéressés, vos papiers ou vos claviers!
(Conte universitaire)
LES COURS ET LES EXAMENS DANS LES CAFETERIAS
En décembre dernier, le Conseil scientifique de ma Faculté adopta pour la première fois de son histoire la proposition de faire passer les examens de la session de janvier 2023 dans les innombrables cafétérias qui entourent notre établissement. Ce n’était en fait qu’une première étape dans la réalisation d’un plus vaste projet qui consiste d’abord à donner les cours dans ces mêmes commerces et plus tard à transformer les salles et les bureaux de la faculté en cafettes avec comptoirs dans un quelconque coin et terrasses dans les couloirs. Quant à la grande cour gazonnée de la faculté, elle fera chaque année l’objet d’un nouvel appel d’offres pour être exploitée comme aire de jeux semblable à Dahdah et à Carthage Land.
Vendredi dernier, l’expérience des examens dans les cafétérias débuta donc avec l’accord inconditionnel des gérants de ces locaux. La surveillance des épreuves fut confiée comme de coutume aux enseignants lesquels étaient très enthousiastes à l’idée de passer leurs deux, trois ou quatre heures dans un autre décor que les salles poussiéreuses, mal éclairées et très mal entretenues. Ils pouvaient également désormais se distraire en regardant les voitures passer, en discutant avec le cafetier, en sirotant un express ou un thé, en écoutant Feyrouz, en suivant un programme de la veille sur le téléviseur, en fumant quelques cigarettes ou une bonne chicha aromatisée.
Les étudiants aussi peuvent se faire servir et re-servir tous genres de boissons et de pâtisseries ; il leur est permis également de fumer, de discuter, de s’amuser entre filles et garçons, de sortir prendre l’air, de tchatter, d’appeler la famille ou les ami(e)s, de publier ou de lire des « statuts » sur face book. S’ils salissent leurs copies, les professeurs surveillants les leur remplacent par d’autres. La durée de la séance peut-être prolongée de quelques dizaines de minutes si le candidat ou la candidate n’a pas fini son café, sa cigarette, ou sa canette de Coca light !
D’après les premières corrections effectuées par les professeurs, les résultats sont stupéfiants : tous les candidats ont leur moyenne et le nombre des bonnes notes a quintuplé. Les commerçants se disent entièrement satisfaits eux aussi. Leurs chiffres d’affaires ont triplé pendant les premiers jours de la session d’examen. Personne, ni parmi les enseignants ni parmi les fonctionnaires et les employés, ne s’est plaint de ces nouvelles conditions dans lesquelles se déroulent les différentes épreuves.
Dans sa toute dernière réunion, tenue en présence de représentants de l’Université et du Ministère, le Conseil scientifique de la faculté a décidé à l’unanimité de reproduire l’expérience et de la développer, en escomptant des taux de réussite jamais réalisés dans l’histoire du pays. Quant aux officiels du rectorat et du Ministère, ils ont promis de décupler le nombre des cafétérias autour et dans les établissements universitaires. Ils sont d’accord aussi pour que les cours aient lieu dans des espaces aussi plaisants.
Aux dernières nouvelles, le Ministère de l’Education est très intéressé par ce même projet qui permettrait à « nos » élèves du secondaire et du primaire de s’instruire dans des cadres aussi agréables que les cafétérias et les salons de thé. Un haut-responsable a même dit à la radio, que l’essentiel dans l’enseignement étant la bonne ambiance, et du moment que nos étudiants et nos élèves se plaisent beaucoup mieux en dehors de la classe, allons à leur rencontre autour d’un capucin ou d’un direct. Il n’y aura plus d’absentéisme et les taux de réussite vont exploser.
Enfin et d’après une information à vérifier, tous les ministres du gouvernement entendent généraliser l’expérience du “travail dans les cafés” au sein de leurs départements respectifs. Quelle bonne nouvelle à annoncer aux Tunisiens en ce début de la nouvelle année 2023 !
BADREDDINE BEN HENDA