Forum Insaniyyat : Trois universités tunisiennes lancent la première édition à Tunis (septembre 2022)
Par Mansour M’HENNI
« Insaniyyat est un Forum international des sciences humaines et sociales visant à offrir aux chercheur.e.s, de provenances et d’horizons variés et de toutes générations, un espace de débat scientifique entre pairs et d’échange sur la recherche en train de se faire dans les différents domaines des sciences de l’homme et de la société. »
Ainsi est définie, par ses initiateurs, cette importante manifestation internationale, scientifique et culturelle, aux objectifs pluriels, tous aussi importants les uns que les autres. On la doit à trois universités du Grand Tunis : celles de la Manouba (UM), de Tunis (UT) et de Tunis El Manar (UTM). Les trois présidents de ces universités co-présideront la manifestation qui aura lieu du 20 au 24 septembre 2022. Une réunion préparatoire, d’information, de sensibilisation et de discussion a eu lieu jeudi 28 octobre 2021 à la Cité des Sciences, modérée par Mme Jahina Ghrib, présidente de l’UM, assistée de ses deux collègues Moez Chafra, président de l’UTM et Habib Sidhom, président de l’UT. Y étaient invités les Professeurs, Professeurs émérites et les directeurs de laboratoires et d’unités de recherche.
Après l’ouverture officielle (interventions des trois présidents) et la présentation du projet par Mme Ghrib, un débat riche et intéressant a pu souligner plusieurs questions fondamentales liées à la place des sciences humaines (au sens large, englobant les lettres, les arts ainsi que les sciences juridiques et économiques) dans la société, et au rôle qu’elles pourraient – et devraient – jouer dans la dynamique de la construction et de l’évolution sociétales. Objectif noble et nodal, longtemps réclamé aussi bien au sein des universités que dans les cercles et les cadres divers de la réflexion et de la conversation autour des questions ayant trait à l’avenir du vivre-ensemble. Avec ce qui se passe dans le monde et surtout dans notre pays, l’initiative d’un tel forum est on ne peut plus heureuse, sans doute porteuse aussi de grands espoirs en matière de propositions et de prémices de solutions aux problèmes en cours, de par le lien que celles-ci auraient avec la notion d’humanité.
Cela est d’ailleurs en relation étroite avec le « Symposium Pluridisciplinaire » qui sera organisé dans le cadre de ce premier forum et qui aura pour titre « Regards croisés autour des CriseS ». En fait, il s’agit « de la neuvième session du Symposium Pluridisciplinaire annuel de l’Université de la Manouba qui sera organisée, à titre exceptionnel, en Septembre 2022, dans le cadre de la 1ère session du Forum International sur les Sciences Humaines et Sociales ». Mais le programme du forum est plus fourni, à la mesure des objectifs escomptés : un Symposium Scientifique Pluridisciplinaire ; un Congrès Scientifique regroupant des conférences, tables-rondes, panels sur la recherche en train de se faire ; des ateliers pour doctorants des différents domaines des sciences humaines et sociales ; un salon des nouvelles publications en sciences humaines et sociales ; des manifestations artistiques et culturelles.
L’esprit qui préside à une telle manifestation nous paraît à faire valoir de façon soulignée parce que, au-delà de sa nature fondatrice d’une nouvelle vision des Humanités (Insanyyat), cet événement est également un aboutissement de commentaires, de suggestions, de propositions et de réclamations, longtemps répétées tant dans les manifestations scientifiques et culturelles que dans des écrits journalistiques et autres. En Tunisie au moins, il y a bien une soif des humanités depuis la fameuse politique de M. Mzali, au début des années 80 du siècle dernier, faisant tout un cinéma autour des disciplines scientifiques et des professions techniques au détriment des humanités. Non qu’il ne faille pas mettre en valeur les sciences dites « exactes » ou « fondamentales », mais c’était une méprise déplorable de le faire aux dépens des sciences humaines, rapidement devenues le parent pauvre de l’enseignement et la poubelle des carrières. Les scores des orientations, au baccalauréat, illustrent parfaitement cet effet désastreux de discours politiques impensés et de décisions mal conduites. Le pire, c’est que tout cela a continué de la même manière, jusqu’à aujourd’hui, avec l’aggravation des sentiments de dépit et de frustration des jeunes diplômés des humanités, mais avec aussi un mal endémique dans les nerfs moteurs de la société, y déshumanisant les principes de base et les rapports entre les citoyens, les entreprises et les institutions. C’est bel et bien l’âme même de la société qui en est touchée.
De ce point de vue, le forum Insanyyat a une lourde responsabilité, celle d’esquisser au moins les grands traits des voies de redressement de la situation en replaçant les sciences humaines, censées éveiller et nourrir les consciences de valeurs humaines inaliénables, au centre de l’intérêt citoyen, de la préoccupation responsable et de la dynamique sociétale. Il est entendu que la vision repensée doit cibler à la fois les sociétés nationales, dans leur auto-gouvernance, et les réseaux internationaux dans leurs rapports réciproques. Autant penser cette évolution vers l’élargissement du local, au national, au régional jusqu’à l’universel conçu davantage comme une « diversalité » que comme une unité rigide et uniforme à la façon dont le concevait une mondialisation défaillante.
Dans cette perspective, c’est d’abord l’éducation et la culture qui sont les cadres idoines d’une révision de notre façon d’être aux humanités. Toute une stratégie raisonnée doit donc être initiée après mûre réflexion, profonde analyse, intelligente prospection et claire conception. Le premier forum Insanyaat a tout ce qu’il faut pour inaugurer, en Tunisie, cette démarche fondatrice, surtout si toutes les énergies positives se fédèrent pour contribuer à son succès espéré.
Publié dans le journal Le Temps du 30-10-2021