L’une des dernières magnifiques œuvres de Gilbert Naccache, “Il pleut des avions” (Chama éditions, 2016, 318 pages) s’inscrit dans un genre littéraire bien particulier : le « roman de témoignage ». Œuvre paradoxale : « Le témoignage » suppose que les faits narrés sont vrais. A l’inverse, « le roman » se réfère à une aventure inventée, à une histoire imaginaire. C’est justement cette dualité qui a intéressé Gilbert Naccache : le témoignage lui a permis de retrouver le passé, de reconstituer le réel dans sa complexité, sa banalité et son opacité alors que le romanesque a permis à Gilbert Naccache de se libérer de ce réel et du temps révolu et de s’imposer comme un penseur et un visionnaire.
Dans “Il pleut des avions”, le héros Jo a vécu un drame. Il a perdu son père au cours d’un bombardement allié à la Marsa le 10 mars 1943 après midi. Pendant dix minutes, 90 avions ont détruit une partie de la ville et les rêves d’un enfant. C’est la mère qui devient le chef de famille et qui va gérer les affaires. Le parcours de l’enfant est clair : étude en Tunisie et à Paris, lutte pour réussir, s’émanciper et s’épanouir. Cependant, il est obsédé par un même cauchemar : des avions qui tombent du ciel et qui détruisent tout.
Il est donc clair que dans “Il pleut des avions” coexistent le fictionnel, l’autobiographique et la chronique. A travers des personnages bien ancrés dans l’histoire et en se référant à ses riches souvenirs, l’auteur nous fait découvrir la Tunisie des années 1940-1960 et nous dévoile la douloureuse naissance d’une nation, ses difficultés, ses révoltes et ses multiples métamorphoses.
Gilbert Naccache apparait ainsi, dans “Il pleut des avions”, comme un observateur attentif et un analyste méticuleux, mais ce témoin engagé n’arrive pas à garder ses distances envers l’univers qu’il décrit, ni à rester muet, indifférent. Sa voix de révolté permanent et de contestataire de l’ordre établi surgit et s’impose à travers les aventures narrées, les lieux et les discours des personnages.
La Tunisie pleure aujourd’hui votre disparition, Gilbert Naccache mais grâce à vous, il pleuvra bientôt sur la Tunisie non pas des avions mais une pluie porteuse de rêves et de richesses.