Par Arselène Ben Farhat
Farid Mohamed Zalhoud est un poète exceptionnel du sud marocain. Il écrit avec aisance en français et en amazigh. La beauté de sa poésie vient de son ancrage dans la modernité et la tradition et dans la cohabitation bien réussie des chants avant-gardistes, futuristes et du rythme ancestral berbère festif. Il s’agit d’une voix qui prime sur l’écrit et qui exprime « la parole de paria », une parole réprimée, refoulée mais qui trouve dans la poésie de Zalhoud un moyen de libération et d’expression des aspirations et des revendications des minorités et des marginaux.
Cependant, la beauté de la poésie de Farid Mohamed Zalhoud vient surtout de sa dimension intermediale, de l’interaction permanente qui s’établit au sein de ses œuvres entre le poétique, le pictural et le sculptural. Face à chaque poème, le lecteur ne sait pas s’il est en train d’explorer « un espace-tableau » ou « un poème-sculpture. L’écriture se présente graphiquement comme une matière à travailler et à transformer en œuvre d’art.
Pour illustrer ces propos, il suffit de lire deux extraits tirés de poèmes dédiés à Aida Rebai (« De Tafraout à Sfax ») et à Wafa Ghorbel (« Sous la férule la parole »). J’ai choisi les deux premières strophes de chaque texte.
Le trait commun entre ces textes c’est l’importance de la pratique dédicatoire. Au lieu de s’exhiber comme un écrivain « au travail », l’auteur met plutôt en scène la personne dédicacée. Chaque dédicace constitue une vraie performance littéraire. En ce sens, Farid Mohamed Zalhoud choisit de s’effacer et de s’identifier à Ghorbel ou à Rebai. C’est la personne dédicacée qui va envahir la scène poétique. Elle devient l’objet et le sujet du poème. En lisant le texte dédié à Wafa Ghorbel, on dirait qu’on replonge dans « Le Jasmin noir » à travers l’opacité du vocabulaire, la complexité de l’univers du poème. En revanche, les vers dédiés à Aida Rebai apparaissent comme un voyage à contre-courant. La magnifique poésie de Rebai est lyrique dominée par un retour mélancolique au passé, par un cri d’un cœur qui ne supporte plus les blessures de la séparation : ” يا زماني كفاني” Le poème de Farid Mohamed Zalhoud dédié à Rébai est par contre une célébration de la joie d’être, une invitation à enterrer le passé douloureux et à vivre, dans l’allégresse, chaque instant du présent. « L’aile zélé » qui « plane », « le firmament », « l’azur », « les nues », etc. annoncent un avenir radieux. Ce que Farid Mohamed Zalhoud n’ose pas dire dans la préface du recueil de poésie de Raida Rébai, il le dit avec beaucoup de tact et de finesse dans son poème dédié à la poétesse tunisienne.
En somme, la poésie de Farid Mohamed Zalhoud est contaminée par les textes d’autres auteurs maghrébins. Elle s’inscrit dans un jeu d’échos et d’opposition avec d’autres textes et s’impose comme œuvre originale.
Cependant je regrette que les poèmes écrits en amazigh par Farid Mohamed Zalhoud et publiés sur sa page facebook et dans les revues ne soient pas traduits. Impossible d’avoir une version en arabe ou en français. Les moteurs de traduction sur internet ne peuvent pas le faire. Est-ce parce que le poète veut éviter les belles infidèles ou parce qu’il est presque impossible de traduire la poésie ?
1- De Tafraout à Sfax
Dédié à Aida Rébai
Prince ailé bats de l’aile zélé plane
Au sein du firmament pli au bec
L’azur jure reconnaître nul échec
Pour l’élu des nues qui aisé flâne
De mon sang de rosée matinale
D’encre de brise j’ai écrit mon salut
Au parfum fin de thym mon élue
De manière nullement machinale
2- Sous la férule la parole
Dédié à Wafa Ghorbel
J’ose éveillé dire mes mots crus
Au vu au su d’untel qui ouït
N’en déplaise aux béni-oui-oui
Et à l’engeance des malotrus
Sous la férule la parole peine
Cloué bec langue vit l’ablation
Sous le joug serf sert d’oblation
L’aède dénonce l’offense de veine