Plan :
- L’incipit
- Le rachat du conte
- L’anti Ommi Sissi ou « A bas les murs »
Supports :
Poème 1 : Ommi Sissi en est remplie…Mes enfants
Poème 2 : Ommi Sissi Sissiya ça s’en va… Ca s’en va…Va
Pour ma modeste réflexion, j’ai sélectionné deux poèmes longs qui se suivent dans le recueil et dont l’intitulé est susmentionné. Leur courbe va crescendo en évoluant de l’image de la femme « toukness toukness » à celle de la femme qui « carbure »
- L’incipit
Les trois vers-incipit du premier poème inscrivent le texte dans le terroir culturel tunisien qui berce encore notre imaginaire. Qui ne connaît pas ce conte populaire de la première enfance qui commence narrativement, non par l’expression conventionnelle : « Once upon a time » ou « il était une fois », ou « ken ya maken fi kadim ezzamen, » mais par l’identification directe du personnage central féminin Ommi Sissi, la femme au balai nettoyeur et aux repas chauds préparés pour ses enfants mais dont l’un a été volé, à son insu, par le chat.
Quant au SV, il est minimal, sans expansion et mis en relief, et ce, pour créer du suspens narratif dans ce début du récit et faire naître de l’appétit dans la lecture du conte.
_Par le double emploi du verbe de langue arabe, écrit en français « toukness » suivi de son équivalent français « balaie », lesquels verbes, au présent, sont à valeur aspectuelle inaccomplie et spécifient l’action universellement connue d’Ommi Sissi, celle de balayer son parterre. L’association de l’action de balayer ou de l’objet ” balai” et du personnage d’Omm Sissi prend la valeur d’une métonymie et est à la limite de la fusion entre la femme et l’ustensile ménager.
Cet avant-goût de la narration ou du conte, copie presque conforme du conte classique, sera-t-il le même dans la suite du récit ou bien en aurons-nous une autre lecture?
- La récupération du conte
Les deux poèmes sont bel et bien un rachat du conte classique lequel est délibérément modifié. La plume de l’auteure le modernise, voire le poétise, l’inscrit dans les années 2020 et lui ôte, partiellement, sa dimension narrative pour n’en garder que le personnage et son signe. C’est le conte écrit à la Maaouia. C’est la déconstruction-reconstruction du conte tunisien.
La poétesse fait éclater ses limites classiques et lui confère une autre dimension, moderne, celle des « G7, 10 et FMI réunis », celle de « Casa en passant par Nouackhott, Tunis, et Alger » et celle de « Elle en a ras le bol » !
En re-conteuse des temps modernes, Fatima Maaouia s’approprie la charpente du conte classique après l’avoir délié et déficelé et le sculpte selon sa propre vision. Point de conformisme. C’est le « Conte dissout »
Toute rebelle dans son contage, plutôt dans sa relecture du conte, elle choisit d’abord l’humour qui circule de bout en bout dans le texte en allant au-delà des signes distinctifs d’Ommi Sissi, tels la » takrita », la pâte « ajina » la « koujina sans fleurs », la « chlaka, la « meïda » et le « fleyess toujours faless » puis l’énumération. Elle fait appel à d’autres signes qu’elle installe dans son texte de manière pléthorique. Lesquels signes sont autant singuliers que modernes et actuels et ce, pour définir à sa manière son personnage féminin, enfant de la plume de Fatima Maaouia.
_ « Allez ouste, dit-elle c’est « le détergent Omo » « le coup de raclette » « le gloss rose » « le tutti frutti » « la signora » « le grésil gel fiel » la « valse tango satin rose » de « Sissi dream » ou d’« Eau…Mie…Sissi » qui envahissent la scène textuelle, identifient la nouvelle Ommi Sissi et prennent place, intronisés par ma plume. »
Et ce fut comme une apparition, écrit Flaubert dans L’Education sentimentale.
- L’Anti-Ommi Sissi ou « A bas les murs »
En magicienne du verbe, la poétesse prend le contre-pied du conte populaire classique réducteur de la femme et le pulvérise en une décomposition-recomposition moderne.
L’Ommi Sissi du conte classique est dépassée, voire tournée en dérision.
La plume de la poétesse la dé – « voile ». Et lui ôte tous ses attributs classiques de femme au foyer qui subissant la loi du social injuste envers ses droits.
Et le Pinceau, le second outil de sa représentation la dessine nue dans les deux images -portraits. Dans la première, elle est dotée d’une chevelure longue et éparse, d’un corps opulent et de son fameux balai décoré, sans sa fameuse « takrita »
Dans la seconde, elle est totalement nue, sans visage, les mains cachant son ventre nu, la tête chargée d’objets de toutes sortes qui la déboussolent, peut-être, et les membres inférieurs désaxés. Personnage classique sciemment déconstruit et brisé.
L’anti- Ommi Sissi s’appelle Sissi l’impératrice peut-être; elle « carbure », « se démène » pour atteindre un « autre Soleil » et « vient à bout de tout ce qui interdit d’être debout »
C’est alors, l’ascension, le crescendo qui, à la fin, propulse Ommi Sissi dans le ciel des flots. La Dame nouvellement créée et détachée de son « pâté séché », de son « carreau taché » a de « quoi être épatée ». Elle baigne dans l’écume et s’y purifie poétiquement.
Purification d’autant plus forte qu’elle est liée
- à une ponctuation particulière, celle des points d’exclamation et des points de suspension, supports de sa force et de son élan vertical
- à l’usage affirmatif puis injonctif du verbe de déplacement spatial et temporel « s’en aller » lequel, en véritable Sésame-ouvre-toi, désenchaîne et libère Ommi Sissi.
Portraits de femmes est une nouvelle lecture musicale et poétique d’égéries féminines. La poétesse les habille à sa manière et les présente en lionnes guerrières à l’assaut des spoliateurs de leurs droits et à la recherche d’un ciel bleu de fureur tapissé et de combat étoilé.
« Ni le mauvais vent
Ni le vent
Ne lui feront baisser le bras »
Nefissa Wafa Marzouki. Jendouba le 24 Nov. 2021
Ah quand le balai, objet voulu et délibéré d’asservissement, se transforme en monture, que dis-je, en pégase, et que Ommi Sissi est non plus une sorcière, mais une magicienne !
Tout comme la plume d’ailleurs.
Car, par la magie du verbe de Fatima puis de Nefissa, le balai sensé enfoncer les Ommi Sissi et les assujettir devient un médium qui dévoile des horizons et ouvre bien des secrets, une sorte de tapis volant, un sésame, un abracabra, un talisman…
Tout de l’univers du conte qui nous est conté, en fait, du manque, de la quête, du héros qui se trouve être une héroïne, des opposants et des adjuvants, tout, tout, jusqu’au bonheur du dénouement qui n’aurait pas pu être si heureux sans la poésie de Fatima, le regard de Nefissa et l’illustration de Faouzi Maaouia.