« Grâce » est un mot emprunté au latin classique gratia, et désigne « l’acte par lequel on acquiert de la reconnaissance. On emploie fréquemment ce mot dans la langue politique pour « faveur, crédit, influence », puis comme synonyme de « beauté », « agrément » et « attrait ». Le latin religieux a développé la valeur de « faveur divine » : gratia vient de gratus, qui signifie « accueilli avec faveur », d’où « gré », « gratifier », « gratitude… ». Dans ce contexte, la grâce est un don accordé sans qu’il soit dû, c’est la bénédiction accordée par Dieu. Après avoir obtenu cette faveur, l’homme doit louer le seigneur de ses grâces.
La grâce est un état de paix intérieure, de bonheur et de bien-être. Il y a bien des années que Dieu a fait à l’homme de bien cette grâce particulière de se rendre indifférent aux méchants ; il aimerait, par le bonheur qu’il partage avec les personnes gracieuses, être plus indifférent encore. Aujourd’hui, et depuis même assez bien longtemps, il est serein : paix de tête et de cœur. Il baigne dans un confort intérieur, sans lequel il ne saurait ressentir les jouissances poétiques et esthétiques. Son orgueil l’empêche d’implorer telle ou telle grâce. Il lui serait, par ailleurs, facile de s’insinuer dans les bonnes grâces des petites gens, de ces gens à mener par le nez. Il n’a jamais rêvé de rentrer en grâce auprès de ses pairs avec des rages jalouses. Il ne trouve grâce que devant les belles et douces personnes. Que les censeurs amers, les corbeaux d’hier et d’aujourd’hui et les fades panégyristes lui fassent grâce des leçons qu’ils ont apprises soigneusement et qu’ils ne cessent de répéter aveuglément, comme des perroquets ! Ils ne font que radoter. Il vomit les radoteurs, exècre les hypocrites.
Il apprécie à leur juste valeur l’agrément particulier et le charme attaché aux manières de toute personne en qui tout est élégance et presque volupté. Il admire la grâce ondoyante et flexible d’une tige en fleur. Pour lui, la grâce doit être courtoise, charmante, auguste et altière. Il aimerait lire des expressions ornées de toute la pompe et de toutes les bonnes grâces. Le style gracieux le séduit. Il affectionne les détails et les nuances. Pour lui, la grâce est un accord dans les mouvements, la beauté est un accord dans les traits. C’est dans les airs d’une musique douce qu’il sent la grâce. Ivresse ! Senteurs ! Salut ! Il fredonne :
« Madame, autour de vous tant de grâce étincelle,
Votre chant est si pur, votre danse recèle
Un charme si vainqueur,
Un si touchant regard baigne votre prunelle
Toute votre personne a quelque chose en elle
De si doux pour le cœur. » (Victor Hugo, Les feuilles d’automne, 1831)
Et il raisonne… :
« Le premier qui a dit que les roses ne sont point sans épines, que la beauté ne plaît pas sans les grâces, que le cœur trompe l’esprit (…) a étonné ; le second est un sot. » (Voltaire, Les Pensées philosophiques).
L’homme de bien poursuit la grâce jusque dans le charme secret des êtres, dans leur visage, dans leur allure et maintien. Il n’admet pas qu’on parle de grâce si le sourire quitte la bouche, et la douceur les yeux. Pas de grâce aussi, si la voix manque d’inflexion. Devant un tableau, il se laisse emporter par les proportions gracieuses. Devant un beau et gracieux poème, il est sans voix…La beauté plaît à ses yeux, la douceur charme son âme. Grâce! « L’art n’est plus de bien parler, mais de savoir se taire »…