Ces derniers jours, et en vous promenant dans les rues du centre de Tunis, vous pouvez lire sur les murs une affichette pour le recrutement, à Siliana, d’ouvrières agricoles. On propose aux candidates un salaire mensuel de 700 dinars et le logement gratuit, sans aucune autre précision ni sur le lieu exact ni sur les conditions de travail et de couverture sociale. Or, tout le monde sait que ce n’est pas à Siliana ville que les recrutées iront travailler mais dans les champs environnants, à plusieurs kilomètres de leur lieu d’habitation. Tout le monde peut par ailleurs imaginer par quel moyen de transport ces ouvrières rejoindront les champs et en reviendront : ce sera bien évidemment debout et collant les unes aux autres à l’arrière d’une camionnette peu fiable et guère protégée contre le froid, la chaleur et les accidents.
Quant au travail sur le champ, les ouvrières savent toutes ou presque en quoi il consistera : pendant plusieurs heures sous une pluie battante ou un soleil brûlant, elles passeront plusieurs heures debout, courbées ou inconfortablement accroupies, à récolter, à cueillir, à couper, à nettoyer, à trier, et même à transporter dans les sacs ou les cageots une importante production agricole saisonnière. Elles savent qu’on leur accorde des moments de repos pour reprendre haleine et se sustenter ; mais que mangeront-elles pendant les pauses : à coup sûr, pas des rougets de roche, pas des brochettes d’agneau, pas des rôtis de bœuf, pas du poulet de ferme au four ! A peine un maigre sandwich rapporté du « logement gratuit » offert par l’employeur.
Parlons-en, de ce logement : elles y seront à plusieurs et y dormiront dans des lits de fortune sous des toits très souvent humides et au milieu de tous les courants d’air imaginables. Dans l’annonce affichée sur les murs de Tunis, il n’est dit aucun mot du « confort » dans ce « logement gratuit » : sanitaires, douche, eau potable, lumière, télévision, cuisinière, tables, chaises, couvertures, pharmacie domestique élémentaire, ustensiles divers, etc. Manifestement, l’expression « avec logement » ajoutée sur l’affichette, désigne un endroit entouré de quatre murs (de trois seulement, parfois). Il ressemblerait à un enclos, à une étable, à une porcherie, à n’importe quel autre espace insalubre, mais c’est quand même un « toit », un logement, un habitat, qui plus est gratuit – le grand luxe, quoi !
Dans ce genre d’emploi, vous ne garantissez donc que ça, le logement et les 700 dinars de la fin du mois. Et encore ! Parce que nul ne sait à quelle volte-face les humeurs du matin, de midi ou du soir peuvent exposer le maître employeur ou les petits chefs qui le remplacent sur le champ et aussi hors champ. Les ouvrières ne garantissent finalement rien : ni l’argent, ni la santé, ni la vie, ni la dignité, ni l’honneur ! S’il en meurt quelques unes dans un accident, on en parlera un jour ou deux dans les médias et sur face book ! Puis, ce sera comme avant l’accident. On ne pensera plus à elles ; on ne se demandera pas de quoi vivent ou survivent leurs enfants et les familles à leur charge ; on ne dira rien sur les risques permanents qui les guettent au travail et à l’intérieur du « logement gratuit ». On ne s’interrogera pas sur ce que valent 700 dinars en vies et en dignités bafouées ! On lira seulement l’affichette et l’on fermera les yeux et la bouche, par la suite, sur ce que l’auteur de l’affichette cache comme malheurs et comme misères entre ses lignes !
BADREDDINE BEN HENDA