Je ne sais pas pourquoi, à la fin de chaque année qui part et dans l’attente d’une année qui vient, me reviennent avec insistance deux citations poétiques, l’une d’Al-Moutanabbi et l’autre de Lamartine, l’une sous forme de constat et l’autre d’interrogation !
« Aïd, dans quel état nous reviens-tu Aïd ? / Dans ton état passé ou du nouveau te guide ? » (“عيد بأية حال عدت يا عيد / بما مضى أم بأمر فيك تجديد”), se demandait celui que d’aucuns considèrent comme « le plus grand poète arabe de tous les temps ». Quant au premier romantique reconnu, il a écrit : « Ô lac ! l’année à peine a fini sa carrière, / Et près des flots chéris qu’elle devait revoir, / Regarde ! je viens seul m’asseoir sur cette pierre / Où tu la vis s’asseoir ! ». Je voudrais ici transposer la strophe des Méditations poétiques dans le contexte actuel et en rapport à la Tunisie qui prendrait ici la place de la femme aimée. Si celle-ci est morte dans le poème, ma patrie me fait signe d’encourir le même risque si ses enfants continuent d’être cyniquement inattentifs à sa santé. Moi aussi, comme un bon petit nombre d’amoureux en détresse, je m’inquiète pour l’avenir incertain de notre pays et cela me réduit à une insoutenable solitude.
Pourquoi et comment en sommes-nous arrivés à cet état de délabrement général, déchiquetant nous-mêmes le corps et l’âme de notre terre-mère dans les tiraillement fanatiques et égoïstes qui animent nos acteurs politiques et la plupart de nos responsables ? Pourquoi chacun veut-il passer pour le prophète de la vérité et le philosophe de la sagesse, quand ce n’est pas pour Dieu lui-même, et reste-t-il sourd et insensible aux souffrances, aux doléances, aux idées et aux propositions d’autrui. Messieurs-Dames du pouvoir, quelles que soient l’intelligence et les compétences que vous croyez avoir, elles ne peuvent être que relatives, et une idée du plus simple des citoyens peut avoir plus de pertinence que toutes vos idéologies empruntées et que toutes vos rhétoriques pernicieuses. De la modestie, de l’humilité, de la mesure ! Cela ne ferait que du bien à tout le monde. Apprenez à converser plutôt qu’à dialoguer dans une farce de sourd ! Pensez à collaborer avant de vous opposer ! Je crois que vous avez une conception maladive et destructive de l’opposition, de la gouvernance aussi. De ce point de vue où je me place, je ne peux que me reconnaître dans l’inquiétude interrogative d’Al-Moutanabbi, exaspéré par l’état présent et sceptique quant à un changement à venir.
Il y a certes une voie suggérée dans « Le Lac », le nôtre et celui des autres, par la voix « des accents inconnus à la terre », la voie de l’amour : « Aimons donc, aimons donc ! de l’heure fugitive, / Hâtons-nous, jouissons ! / L’homme n’a point de port, le temps n’a point de rive ; / Il coule, et nous passons ! » Mais qui entend encore l’amour de cette façon, celui de l’altérité, de la solidarité et de la quête du bonheur pour tous ? Il semble qu’on n’en retienne aujourd’hui que la part de soi, exclusivement sienne, plus égoïste et plus égocentrique que jamais, avec la pensée convaincue que « tout le reste est littérature » !
Chers concitoyens où que vous soyez et qui que vous soyez, aimes-vous les uns les autres d’abord pour pouvoir vous aimer vous-mêmes sereinement, dans la conscience satisfaite de s’être acquittée de son devoir de citoyenneté dans les valeurs nobles de l’humanité ! Et que cet amour ait un symbole pour vous et un repère, cet ensemble unitaire qui vous rassemble, sans effacer vos différences mais en en faisant une richesse, cette belle entité qu’on appelle une Patrie, fière d’être ce qu’elle est et ne se refusant guère à son rôle dans une pensée et une éthique du progrès et de l’universalité !
(Publié aussi sur jawharafm.net)
Mes meilleurs vœux de santé et bonheur, des meilleurs inch’Allah Monsieur M’henni. Bonne année et surtout une meilleure année🙏💖
_ Ton élève KHAIRALLAH Amor