Hier, dimanche 25 juillet 2021, j’ai passé ma fin d’après-midi à discuter longuement au téléphone avec deux amis, comme moi, modérément politisés. Le sujet principal tournait autour des manifestations “jeunes” organisées à travers le pays pour protester contre le gouvernement et le parti islamiste Ennahdha. Cela se passait quelques petites heures avant le discours présidentiel et les décisions qui y ont été annoncées par Kaïs Sâayed (gel des activités de l’Assemblée des Représentants du Peuple, levée de l’immunité dont jouissent les Parlementaires, limogeage du chef du Gouvernement, passage de l’Exécutif et du Parquet aux mains du Président de la République, etc.)
J’avoue que, pendant les deux conversations, je n’ai exprimé aucun enthousiasme en faveur des protestataires sortis dans la rue suite à une mobilisation relativement timide conduite essentiellement sur les réseaux sociaux. J’ai même vertement critiqué quelques uns de ses meneurs et m’en suis pris tout aussi violemment aux partisans du Président de la République et du mouvement “Le Peuple veut” !
Tard dans la nuit, un message de mon fils me réveille de mon “sommeil” et m’informe des mesures audacieuses de Sâayed. Sur Face book, également, je découvre qu’on se relaie à qui mieux mieux pour saluer ces décisions et les liesses qui s’en étaient suivies à Tunis et dans d’autres villes. Je reconnais m’être sur l’instant senti comme pris de court et à contrepied par les événements. Ma lecture des faits de la journée s’avérait nulle, voire ridicule au vu de ce qui s’était passé pendant mon “sommeil” !
Je ne suis plus revenu au lit après cette ‘déconvenue”, et me suis mis à réfléchir, puis à écrire quelques impressions personnelles dont celles que je reproduis ici, dans cette sorte de mea culpa de la 25ème heure (Il était une heure du matin quand je m’étais réveillé!). Mais en même temps, et tout en partageant le soulagement éprouvé par une majorité de Tunisiens en colère contre Mechichi et Ennahdha, je ne voulais pas m’inscrire dans le mouvement de liesse générale, par prudence je dirais, et un peu par méfiance !
Joie prudente donc, et mesurée, mais pas du tout d’alarmisme ! De toute manière, disait une amie sur Face book, “ça ne peut pas être pire que ces dix dernières années de galère révolutionnaire” ! La situation dans le pays, aggravée déjà par la pandémie du Covid 19, est devenue insoutenable et présageait depuis des mois une quelconque explosion. La voici, l’explosion ! Ou plutôt la première déflagration !
Il reste maintenant à souhaiter que les salves qui suivront cette déflagration ne soient pas des barouds d’honneur ou des tirs en l’air pour faire peur aux “pigeons”. Sur un autre plan, et concernant les intellectuels “de gauche” comme moi, il importe d’adopter une autre “sagesse politique” qui sache retenir les nouvelles leçons de l’Histoire : les réseaux sociaux peuvent faire monter au pouvoir des hommes incompétents et/ou corrompus; c’est vrai ! Mais ils peuvent faire tomber des têtes, des gouvernements et des régimes indésirables.
Il faut savoir également jeter du lest en matière d’alliances et en fonction des objectifs prioritaires. Le purisme éthique ne paie pas dans tous les cas. En politique, les “compromis”, les “compromissions” même, sont des passages obligés ! Éternelle question de tactique et de stratégie! Autre leçon, il ne faut désespérer de personne, ni d’aucun responsable politique, ni d’aucun parti ! L’essentiel étant toujours d’aller dans le sens de l’Histoire, dans le sens de cette Histoire qui fait avancer les hommes, les peuples et les nations. Ennahdha et l’islamisme islamique – tout le monde le savait, le disait- ne sont pas de cette Histoire-là ! Pourtant, le mouvement intégriste a su, avec l’aide intérieure et extérieure, s’imposer comme première force politique de la Tunisie et ce depuis une décennie maintenant !
Mais qu’est-ce qu’une décennie dans le cours de l’Histoire ?! Même pas une goutte dans l’océan ! C’est pourquoi il ne faut jamais baisser les bras face aux ennemis de l’Histoire progressiste émancipatrice de l’Homme. La gauche tunisienne (socialiste, communiste, démocrate, nationaliste, laïque, ou libérale) s’est progressivement laissé paralyser. Maintes fois, elle s’est délitée elle-même en succombant aux démons mégalomanes de ses “chefs” ou prétendus chefs !
L’heure est venue plusieurs fois pour qu’elle se remette en question ! Mais les ratages étaient chaque fois au rendez-vous ! En tout cas, voici un nouveau rendez-vous à ne pas manquer ! Ce qui s’est passé hier soir est à faire intelligemment fructifier ! La Gauche dont je parle doit impérativement en tirer quelque chose ! C’est frustrant, terriblement frustrant, de se dire de gauche et de ne rien entreprendre qui rende vraiment service à la Gauche, c’est-à-dire en définitive, de ne rien entreprendre qui puisse réellement et durablement profiter à ce peuple et à cette patrie que nous aimons tant !
BADREDDINE BEN HENDA