Par Mansour M’henni
J’ai hésité à consacrer, comme je l’ai souvent fait depuis 2011, ma première chronique du mois d’août à la date du 3 août et à l’homme auquel elle est étroitement liée, Habib Bourguiba. Je me rappelle avoir discrédité, via des chroniques et lettres ouvertes adressées on ne peut plus explicitement à Rached Ghannouchi, pour critiquer son attitude qui s’interdisait le vœu de la miséricorde divine à l’âme du fondateur de la Tunisie moderne. Je lui disais textuellement : « Le jour où tu prieras pour l’âme de feu Bourguiba, on te reconnaîtra comme tunisien ». Cette année, j’ai observé le paysage et visité les réseaux sociaux pour me faire une idée de ce que je pourrais mettre dans ma chronique.
Force est de conclure à la place relativement modeste des statuts commentant cette date : il y a surtout ceux de certaines figures assez ou bien connues de « l’Ancien régime » (sic !), souvent commentées favorablement et voyant tout de même s’y insérer de temps en temps des commentaires critiques à tonalités diverses. C’est dans l’ordre des choses. Mais que peut-on en déduire ? Un nouveau positionnement par rapport à l’image de Bourguiba et à sa valeur historique ?
Qu’on me permette de revenir à la réaction de Rached Ghannouchi, que je ne prends pas forcément comme une réponse à mes lettres ouvertes, bien que sachant qu’il en avait pris connaissance. Tout le monde sait que, quelque temps après la prise du pouvoir par En-Nahdha dans un simulacre de coalition troïkiste (autrement trotskiste ?), le parti islamiste, peu expérimenté en matière de gouvernance et particulièrement centré sur des stratégies et des intérêts sectaires, s’est confronté à des difficultés majeures de gestion, voire de franche mauvaise gestion dont la campagne contre la corruption pourrait dévoiler certains aspects troublants, et, conseillé sans doute par ses parrains politiques et géostratégiques, le Mouvement islamiste a dû faire des concessions sur l’idéologie de base pour se faire son petit bonhomme de chemin dans le pouvoir. C’est là que Ghannouchi a commencé à manifester une attitude et un discours moins offensants à l’égard du Premier Président de la Nation tunisienne. On a même senti, puis constaté, une récupération de certaines idées politiques de Bourguiba et même de Ben Ali, dans les stratégies nahdhaouies, pour contrer ses adversaires parmi lesquels certains, de l’extrême gauche, se sont souvent avérés, sciemment ou inconsciemment, des serviteurs efficaces des objectifs politiques des islamistes.
Au-delà de ce constat personnel libre, qui peut très bien s’avérer subjectif et discutable, comme tout avis particulier, il y a un fait qui se confirme de plus en plus : c’est la commémoration du décès de Bourguiba, et non de sa naissance, qui résiste encore à l’oubli, relativement. Même dans les rangs des acteurs politiques se reconnaissant ou se voulant des successeurs ou au moins des continuateurs de Bourguiba, en tant qu’état d’esprit et façon d’être patriotique et moderniste. Faut-il en conclure que c’est la mort de Bourguiba qui est recherchée et qui les arrange le mieux, chacun voulant essayer de se dresser en un nouveau modèle à même de surpasser le Premier ? Ce n’est pas exclu et il y aurait à croire que les sociologues et les psychologues trouveraient bien dans une telle interrogation de quoi remplir des pages et des pages.
Certes, fêter la naissance est plus heureux et plus constructif que commémorer la mort ; il serait peut-être bon de réorienter notre enseignement dans ce sens. Cependant, même par l’évocation de la mort, une figure importante comme celle de Bourguiba continue d’éveiller les consciences et souligne de précieuses leçons à tirer. C’est pourquoi, pour conclure ce bref propos, j’emprunterais une citation dans l’article « 119e anniversaire de Bourguiba, la Tunisie n’a toujours pas retrouvé de zaïm » de notre confrère Businessnews, un des rares à avoir si bien parlé du 119ème anniversaire du Zaïm Habib Bourguiba en rappelant à l’occasion (le 3 août 2022) un autre important article de 2014 dû à Nadya Bchir : « En ce 119e anniversaire de Habib Bourguiba, il n’y a qu’un souhait à faire : rebâtir un État fort et infrangible. Un État dont aucune révolte avec ses débauches, ne pourra avoir raison. Faire honneur à la mémoire de celui qui a libéré la Tunisie du colonisateur français, de celui qui a fondé un État et une République modernes, de celui qui se souciait de fédérer tous les Tunisiens, de celui, rare, pour qui l’intérêt suprême de la patrie n’avait rien d’égal, est un devoir national ! Honorons Bourguiba et sa mémoire, et reconstruisons l’État de la Tunisie. »