J’avoue d’emblée être imbu de l’esprit, du principe et de la pratique de la conversation qui motivent ma pensée et ma quête d’une voie vers le meilleur vivre-ensemble, et une intelligence probante de l’être positif et constructif. Ce qui me paraît important dans cette expérience, c’est la conscience des limites de mon intelligence, comme celle de toute intelligence humaine malgré ses réalisations géniales, et du constat qui en découle, en l’occurrence la nécessité d’une éthique de l’humilité et de la relativisation en toute chose.
Ainsi, je m’arrête souvent devant des indications qui me paraissent comme des invitations implicites à converser. Tels sont les slogons griffonnés, à la peinture ou au charbon, sur les murs pour attirer l’attention publique sur certains comportements jugés inadéquats, soit pour exprimer une opposition ferme à leur égard, soit pour insinuer un scepticisme implicite sous des affirmations plus ou moins catégoriques.
Le premier exemple que j’évoque rapidement ici, parce qu’il me paraît susciter de nombreuses questions et mériter un plus ample développement, c’est celui, dans mon quartier, d’un slogan sur le mur de clôture d’un lot de terrain non construit, disant : « Des clochards mais des cultivés ». Pensons-y en attendant un retour sur la question, mais songeons à ce curieux destin qui semble faire de nos intellectuels et de nos concitoyens cultivés, des marginaux incapables ou indignes d’une adaptation sociale.
Le second exemple et le troisième sont étroitement liés à la notion de propreté environnementale, sans doute comme un indice caractéristique de l’éthique de la propreté au sens large.
Il y a d’abord ces autres slogans que l’on inscrit à des coins de rues résidentielles où des résidus ou des traces de déchets domestiques s’affichent en termes de défis aux citoyens du quartier, voire à l’ensemble des citoyens. Exaspérés par l’obstination des « polluants » ou des « salisseurs de l’environnement » à nuire à la logique du vivre-ensemble et du respect d’autrui, les malheureux et impuissants « maîtres de céans » ne semblent trouver d’autre moyen de riposter que l’insulte et la malédiction : « Maudit soit celui qui met les déchets ici ! » ; « Nulle paix à l’âme des parents de celui qui salit ce lieu par ses déchets personnels ! »… On comprend la colère, mais le style peut-il donner de l’effet ? Question à examiner.
Pour finir, il serait difficile, à ce propos, de ne pas évoquer nos plages. À l’une des plus belles plages de Tunisie, ou je passe souvent des jours de vacances estivales, je suis souvent scandalisé par le comportement des baigneurs, surtout ceux installés en familles, qui se permettent de jeter, sur le sable ou dans l’eau de mer, les restes des légumes et des fruits ainsi que leurs sacs plastiques et leurs bouteilles et boites de boissons de tous genres. Pour éviter toute friction avec ces gens, je me mets parfois à ramasser ces déchets et à les mettre dans des poubelles posées à cet effet, à quelques mètres ou quelques dizaines de mètres du plus éloigné de l’estivalier. Mes filles me chuchotent alors : « Mais papa, les gens sont en train de rire de ton comportement ! » Et moi de leur répondre : « Qu’ils en rient maintenant, j’espère qu’ils finiront par rire d’eux-mêmes, avec une note de regret ! ».
Et voilà que l’une des filles rentrées pour quelques jours dans notre ville natale me dit : « Tu sais, papa, la belle plage que tu connais est devenue une vraie poubelle bourrée de toutes les saletés jusqu’à quelques mètres dans l’eau ». Je n’ai eu que ma seule réponse à donner : « L’Art est long et le Temps et court », Baudelaire dixit.
(Publié aussi par jawharafm.net)