Essai de lecture de La Morsure de Marc Gontard, Éditions Goater, 247 pages, Rennes, 2021.
Lors de la présentation d’un nouveau processus en imagerie médicale au service d’anatomie à la faculté de médecine de Rennes, l’ingénieur en micro-électronique Arnaud De Kersily et l’étudiante Sophie Cort, sur une demande de renseignement de celle-ci sur Transim, sa jeune entreprise, se retrouvent pour un jus de fruit à la Cafétéria. Ils font connaissance, prennent l’habitude de s’appeler, puis de se revoir, se lient d’amitié, pour courir une inhabituelle aventure en Afrique, puis se retrouver pour ne plus se quitter. 25 ans, elle est en dernière année de médecine, a une chambre à la cité, séparée de ses parents. Il est veuf de Caroline, sans enfants, vient de monter avec son copain et associé Yves Le Bail docteur en informatique une petite entreprise en imagerie cérébrale. Ce sont les personnages principaux du récit, et non les seuls. Nous les accompagnons avec sympathie dans leur périple de deux mois, depuis qu’ils quittent Roissy le premier avril, jusqu’à leur retour qu’on peut situer en juin avec la période des examens écrits et oraux de Sophie. Examens qui n’ont pas empêché celle-ci, malgré quelque réticence, d’accompagner pour deux semaines Arnaud en Afrique. Il avait retenu une semaine de chasse près de la ville de Kédougou. Atterris à Dakar, déposés à l’hôtel La Corniche à Saly par Graci le chauffeur dans sa 4 x 4, avant de les reprendre le lendemain à l’aube pour Kaolack, puis Tambacounda, Dar Salam, Mako, puis enfin Kédougou. Dix heures de route pour arriver au camp. Arnaud accompagné de deux pisteurs Mamadou et M’Bow à l’affut des phacos est enlevé à la frontière malienne dans la région de Saraya par un groupe djihadiste armé qui réclame une lourde rançon. Restée en sécurité au Sénégal au village Mbong près de la Guinée, Sophie est familiarisée avec Fodé, frère d’Ethira, Taani Bonang, le frère de sa belle mère, un féticheur et guérisseur, le seul à parler un peu le français, ses trois femmes, Taki, Niari et Ngoudj. Ils sont dans la case d’Ethira liée également à Arnaud, jouissant de merveilleux moments dans cette Afrique de la brousse, de la savane, de l’amour, de la sagesse, des parfums et des couleurs. Lorsque Sophie sortie un petit matin prendre l’air sous le baobab d’entre les cases est mordue par un serpent au venin mortel, le mamba. Réveillés par les cris, Ethira et les voisins accourent, elle n’a que deux heures à vivre. Ethira la dépêche sur un pick-up à Mbong où elle a un parent Taani qui soigne les morsures. Elle lui applique en route les premiers soins à la poudre noire. Tandis que Taani, prévenu par téléphone, a vite préparé les potions et les concoctions qui finissent lentement par calmer les spasmes, atténuer les délires, rétablir la conscience et la respiration de Sophie. Il s’ensuivit un questionnement sur l’insuffisance de la médecine occidentale et une longue démonstration par le guérisseur dans sa case-médecine des vertus de la médecine africaine qui unit science des plantes et usage des fétiches, corps et esprit, qui recherche l’équilibre. Entretemps est organisée une cérémonie d’initiation sur l’autel familial de Taani pour conjurer le mauvais esprit qui hante à chaque fois le rêve de Sophie, surnommée Awa. Ce quelque chose qui pèse sur elle, qui déchire ses entrailles, ce vautour noir au crâne chauve, au cou fripé, aux serres recroquevillées qui la dépouille de sa peau nue. Mais soudain, c’est l’image d’Arnaud qui revient. Que faire, comment faire pour le libérer ? Envoyer sur zone des patrouilles de l’armée ne servira à rien, les ravisseurs sont déjà au-delà des frontières. C’est Ethira, la rédemptrice, qui prend l’initiative, tout comme elle l’a fait pour la morsure. Elle est partie très tôt la veille à l’arrière d’une moto s’enquérir des nouvelles à Kédougou. A Salémata, le chef du village Bah fait connaissance de la toubab qui l’informe de l’enlèvement. Ils enverront quelqu’un à Kédougou pour avoir des nouvelles. On essaie de savoir le groupe qui l’a enlevé. Entretemps, la Toubab se charge de soigner Mouki, fils de Niari et de Bah. D’autres femmes arrivent pour consultation. Ethira est prête à tout faire pour l’amitié de Sophie et d’Arnaud. Elle va oser l’impensable, téléphoner à son ancien amant qu’elle déteste, qu’elle avait connu à Kédougou avant qu’il devienne la main d’Allah, l’algérien Abdelmalek devenu émir de la katiba passé au Mali faire le jihad après que les groupes islamistes ailleurs sont défaits. Ils fixent un rendez-vous dans trois jours à Kayes, un très long voyage pour Ethira. Venait-elle se joindre au groupe ? Elle venait lui demander de libérer le français. Il avait tenté de s’évader et le tribunal a statué sur son arrêt de mort. Elle aurait dû mettre le hidjab, le niqab, le tchador et entendre la parole d’Allah. Mais son âme est en paix avec les esprits de la brousse et une Bassari ne vit pas en esclave ! Elle accepte de s’échanger contre le français et fixent un rendez-vous dans trois jours dans un village de la brousse : Gondokhou. Quand Ethira arrive à Mboh rapporter la nouvelle et se réveille d’un long sommeil, Sophie est près d’elle, Niari, Taani, Taki. «le temps que tu arrives à Dakar, Arnaud sera libéré, lui dit-elle ». Il est temps de se quitter. L’étreinte est intense. Elles partent avant l’aube. Sophie dans la camionnette qui la conduira Jusqu’à Tambacounda, puis dans un avion jusqu’ à Dakar. Ethira lui glisse dans la main un flacon de Thiouraye, et Taani la comble de sa sagesse paternelle. Ethira appelle une moto, destination Gondokho, en plusieurs étapes, par plusieurs moyens, au rendez-vous d’ Abdemalek. Réveillé de son coma, Arnaud ne savait pas qu’il avait été découvert dans un dépotoir par un garçon qui conduisait des chèvres en brousse. Jusqu’ à ce qu’il ouvre les yeux sur Sophie dans un poste de police à Kédougou, qui les conduit dans une ambulance escortée par une jeep jusqu’à Tambacounda à l’aérodrome d’où ils décolleront pour la France et où ils seront soumis à des interrogatoires sur les circonstances de l’enlèvement et l’énigme de la libération d’Arnaud. Ethira est déjà dans les mains du groupe d’Abdelmalek quand celui-ci fait glisser sur le sol de la pick-up à moitié mort le corps d’Arnaud. Tandis qu’Ethira est sommée de porter le collier d’explosifs qu’elle est amenée à déclencher à Kédougou au milieu de la foule le jour du marché. Les mécréants doivent connaître la colère d’Allah. Le lieu jadis de sa déperdition devient ce jour-là celui de sa rédemption. Ethira paie le prix de son ami échangé. Abdel voudrait faire d’elle une chahida qui honorerait tous les moujahidins. Un clique sur le gousset du collier et juste un éclair lumineux pour qu’elle se retrouve assise sur un trône d’or aux côtés du prophète. Le mécanisme est artisanalement préparé par l’ingénieur chimiste marocain Khafik. Le jour suivant, la ceinture est montée, enlacée au corps d’Ethira et le moteur de la pick-up tourne déjà, dans quelques heures Kedougou. Abdel est aux côtés du chauffeur et Ethira bien calée à la banquette arrière. Impossible qu’elle meure en djihadiste Elle songe aux victimes qu’elle allait faire, aux enfants déchiquetés, aux femmes éventrées et au sang coagulant sur la chaussée. Maintenant la peur de la mort est passée, elle est déterminée. La pick-up double un camion, laisse passer un mini-car, le chauffeur ralentit, la route est libre. C’est le moment. Ethira déclenche l’explosif. Un éclat lumineux soulève le véhicule, trois victimes dont une femme, Ethira.
Le texte s’affiche comme un échiquier. On a l’impression d’une omniprésence, d’une ubiquité des scènes et des personnages, nous sommes ici et partout. Les relais ont de multiples passeurs, mais se tiennent comme des racines à un tronc. Plusieurs personnages prennent et échangent la parole. Une tension nous excède de bout en bout : Le cauchemar de sophie, le rapace nocturne aux serres acérées qui surgit la nuit, la morsure mortelle du Mamba, l’enlèvement et le sort d’Arnaud, son évasion ratée, le martyr d’Ethira, l’idée de l’échange, l’extrémisme religieux, l’abandon d’Arnaud dans un dépotoir, le déclenchement de l’explosif, la fascinante et mystérieuse Afrique. Les séquences s’appellent, se rappellent, des réseaux se dessinent, se renvoient, se répondent, sans que la fluidité du récit et sa cohérence soient entamées. Ethira est le protagoniste, le personnage clé. Elle surplombe l’édifice, balise les parcours, assure les jonctions, actionne et déploie les axes majeurs, ceux en premier de Sophie et d’Arnaud, depuis leur départ, jusqu’à leur ultime pause, longeant la longue aventure qui les a amenés pour une bonne semaine en Afrique que Sophie visite pour la première fois. Elle est l’héroïne, la rédemptrice, la sacrificielle. Elle épargne en se donnant la mort d’un carnage au marché de Kédougou une foule de victimes innocentes. Elle accepte de s’échanger contre la libération de l’otage et de subir son sort, s’exposer à le mort. Elle libère le détenu et sauve l’amour et le bonheur du couple Arnaud et Sophie. Quelle martyre ! Un autochtone juré ne saurait mieux sur les lieux, les villes et les hameaux, les rites, les manies, les plats et les mets, les bouillies et les jus, les esprits, la faune et la flore, les routes et les sentes, et surtout la bonté de ces gens de cette Afrique exotique. Quel beau cadeau que ce livre, cette morsure ! C’est peu dire et mal restituer le secret de cette magie de l’écriture de la main de maître, Monsieur Marc Gontard que je remercie vivement pour ce joyau d’écriture, d’émotion, de beauté et de sagesse, prestigieusement disposé au rayon sublimissime de la bonne littérature.
Kertach Mohamed