Une sorte de polémique s’est déclenchée, ces dernières semaines, autour d’une possible révision, voire même d’un remplacement réclamé, des textes légiférant la vie associative en Tunisie, notamment le « Décret-loi n° 2011-88 du 24 septembre 2011, portant organisation des associations ». Les uns le trouvent trop souple pour empêcher de fâcheux dérapages, les autres y voient l’embryon essentiel d’une Tunisie mise sur la voie de la démocratisation. De toute façon, cette polémique ne s’arrêtera jamais, peut-être, tant que la politique politicienne ne cessera pas de commander les associations à sa guise et tant que l’action associative ne guérira pas de la tentation politico-politique au détriment d’une saine intelligence de la citoyenneté.
Pour ce qui est du problème de l’heure, force est de conclure à de nombreux abus commis par la manipulation de certaines associations. Le pire, c’est que cela se faisait souvent au nom des droits de l’homme et des principes d’assistance aux personnes faibles et nécessiteuses. Autant dire donc que, là aussi, les pauvres et les démunis sont plus un prétexte mis au service des conflits politiques qu’un vrai objet de la conscience de citoyenneté ! A preuve, la logique d’à deux poids deux mesures qu’on constate à la comparaison des cas prix en considération dans certains discours militants.
Il m’a été donné d’aborder cette question précédemment et j’ai toujours soutenu que le social gagnerait à s’organiser autour de structures étatiques en parfaite et honnête gouvernance. Aussi devrait-on sortir le social de la logique de la charité pour l’inclure dans la dynamique de la citoyenneté. Je disais qu’il nous fallait – qu’il nous faut toujours – tourner la page de la main supérieur (celle qui donne) et la main inférieure (celle qui reçoit), pour inscrire la solidarité sociale dans une vision et dans des interactions horizontales. De ce point de vue, en référence à un débat déclenché dans l’émission « Manatet Tounissiya » autour de la personne d’Aziza Othmana, on serait en droit de se demander si l’abolition du Habous a vraiment été une bonne décision, au vu des manipulations actuelles des pauvres gens, au nom de la « charité islamo-chrétienne » ! Qu’on collecte des dons pour réduire les écarts entre les catégories sociales, oui ! A condition que leur exploitation et leur distribution soient dépersonnalisées et dépolitisées ! Sinon, laissons la charité aux charitables pour qu’ils en fassent usage discrètement, en signe de piété personnelle.
Quant à la vie associative, il importe certes qu’elle soit assainie des lieux et des liens véreux de la socialité ; mais cela ne saurait se faire en surchargeant le tissu associatif de complications administratives, de contraintes budgétaires et de procédures handicapant leur élan et leur intelligence. Au contraire, libérer l’action associative et la généraliser vaut comme une stratégie efficiente de l’édification sociétale sur la base de la citoyenneté solidaire. Celle-ci englobe la solidarité citoyenne aussi bien comme un régulateur de la cohésion de la société que comme un substitut à la charité perçue en tant que calmant temporaire des douleurs et des frustrations causées par les écarts entre les citoyens. Les associations devraient elles-mêmes s’assembler en collectifs expérimentaux de l’action citoyenne, fédérés pour l’objectif du meilleur vivre-ensemble possible.
Qu’il me soit permis de citer une expérience récemment concrétisée à plus large échelle, après près de cinq ans en cercle restreint. Il s’agit du Collectif – CURA (Culture, Université, Recherche, Associations) qui réunit, de façon informelle pour le moment, des structures de recherche et des associations à objets surtout académiques, culturels, pédagogiques et écologiques, avec pour objectif de développer, ici et maintenant, une pensée d’avenir tirant parti des enseignements du passé. Y aurait-il là une autre façon de penser et de repenser la Cité ! L’avenir nous le dira !
(Publié aussi dans jawharafm.net)