Mansour M’henni
Le propre de la commémoration des dates nationales symboliques s’inscrit pleinement dans cette logique, soulignée ou non, de ce qu’on pourrait appeler « une mémoire d’avenir », définie, comme il m’a été souvent donné de le rappeler, en écho à la maxime qui disait qu’il faut « regarder le passé pour éclairer l’avenir ». Cependant, ce qui est inévitable dans la stratégie commémorative, c’est l’arrière-fond politique qui ressort de l’ombre de toutes ses frustrations pour revendiquer une sorte de légitimité à mille intentions sous couvert d’un visage commun pour l’intérêt partagé.
On se souvient ainsi de la place et des dimensions que prenait la commémoration de l’Indépendance nationale sous le règne de Bourguiba et sous celui de Ben Ali. Un spectacle dans la juste conformité à l’esprit d’unité nationale, acquise après de longs et pénibles sacrifices, et à la nécessité de la protéger de toute dissidence et de toute tendance complotiste. Puis, à partir de 2011, cette date a été trainée dans toutes les alcôves et a été tantôt maltraitée comme une diabolique trainée, tantôt monnayée comme une belle kidnappée.
Cette année, la commémoration du 20 mars 1956 (68 ans déjà ! 68 ans seulement ?) me semble se parer déjà à l’heure des élections annoncées pour le dernier trimestre de l’année en cours. Oui, élections présidentielles comprises ! Alors là, tous les intéressés se manifestent au nom de la responsabilité dont ils se sentent redevables, mais aussi dans les termes voilés de l’insinuation, pour ne pas paraître exploiter l’événement national pour un intérêt personnel. Entendons-nous bien d’emblée, il n’y a ici aucun reproche signifié à l’égard de nulle attitude car le pays et son Histoire sont la propriété de tous les Tunisiens et chacun a le droit de se positionner à sa façon par rapport à ce qui s’y rapporte. N’empêche qu’il est permis de tirer de ce phénomène des impressions et de les partager pour une quelconque utilité ou pour la simple distraction.
Pour ma part, je veux simplement dire mon étonnement de ne pas voir se manifester, à cette occasion, des organisations, des groupes ou des personnes (Dois-je dire épersonnaliés » ?) politiques généralement pressées de ne rater aucune occasion pour le faire. Même la manifestation de la veille (le 19 mars) devant le Palmarium, en soutien aux Palestiniens de Gaza, n’a pas senti le besoin d’articuler les deux moments historiques des deux pays frères, malgré tous les rapprochements possibles et tous les souvenirs communs !
Du côté des partis politiques, j’ai relevé un pointage de présence de l’un d’entre eux, s’inscrivant dans la reconnaissance respectueuse du passé et dans l’adhésion au processus en cours vers l’avenir. Du côté du gouvernement, il y aurait eu des cérémonies disséminées dans certains gouvernorats et celle plus représentative du ministère de l’Intérieur. Tout cela est lisible, non sans les tiraillements qui président aux heurts et aux bonheurs de notre vie politique actuelle.
Cependant, la vidéo de Nizar Chaari (candidat déclaré aux présidentielles de 2024), diffusée sur sa page dans les réseaux sociaux, et la lettre ouverte de Mondher Znaïdi, adressée au Président de la République par le même biais, sont toutes deux bien ficelées et bien communiquées, dénotant leur élaboration dans le cadre d’un travail d’équipe et d’un conseil d’expérience. Ces deux messages nous paraissent mériter qu’on s’y attarde et qu’on prenne à leur égard l’attitude de Pangloss dans Candide de Voltaire, celle de « prendre le parti d’aller raisonner ailleurs de leurs effets et de leurs causes ».
Il est bien dit « ailleurs », donc pas ici. En attendant que se décante l’ambiance pour un serein débat sur les prochaines élections.
(Publié aussi sur jawharafm.net)