Sociologiquement parlant, on peut définir une société comme un ensemble de personnes identifiables par leur appartenance à un pays déterminé ou à une civilisation donnée. Cet ensemble est régi, selon le penseur autrichien, Rudolf Steiner (1861-1925), par « l’interaction des trois grands domaines d’activité de la société » : l’économie, le droit (où s’intègre la politique) et la culture (où s’intègre le spirituel).
Dans le cadre de cette « triarticulation sociétale » de Steiner, le Philippin Nicanor Perlas ajoute que « le fonctionnement de la société (ou “organisme social) est considéré comme sain lorsque ces trois pouvoirs opèrent à la fois de manière autonome et coordonnée pour le bien de tous en collaborant de manière respectueuse. Ce qui nécessite d’instaurer : l’égalité dans le domaine juridique, la liberté dans le domaine culturel et la fraternité dans le domaine économique ». Personnellement, je préfèrerais la solidarité économique à la fraternité économique, mais là n’est pas l’essentiel de mon propos.
Néanmoins, l’avant-propos ci-dessus m’a paru nécessaire pour préciser les règles du jeu (ayant pour enjeu la vie même de l’individu et du groupe) d’une vie sociétale et pour poser la question du jour : « sommes-nous vraiment, sommes-nous encore, une société dans notre pays, la Tunisie ? ». En principe, on ne peut répondre que par l’affirmative puisque nous nous reconnaissons tous de ce pays, auquel nous tenons tous, même ceux-là qui par dépit répètent vouloir le déserter et élire un autre lieu de résidence… un autre lieu d’appartenance !
C’est plutôt la seconde question qui demande à être discutée : « sommes-nous dans une société à fonctionnement sain » ? Autant dire d’emblée que la tendance est de répondre par la négative. En effet, que loin nous sommes de « la coordination et la collaboration, dans le respect, pour le bien de tous », parce que nous avons, en dix ans, détruit, à tous les niveaux, l’organe moteur garant de cette cohérence et de son bon fonctionnement, en l’occurrence l’État.
Au sommet de ce dernier, nous avons trois institutions qui se disputent la première place en comportement farcesque et sans vergogne, en incohérence éthique et politique, en incompétence de gestion et de communication, etc. N’en déplaise aux personnalités qui représentent ces institutions, nombreux ont été les Tunisiens à leur faire confiance, en un certain temps, même si par accommodation au fait accompli, élections obligent. Mais depuis, chaque jour de plus ne fait qu’apporter de nouvelles raisons de douter et de nouveaux sentiments de déception parce que nos responsables ne font pas grand cas des règles du jeu. Nul besoin d’énumérer les exemples pour ne pas remuer le couteau dans la plaie au cœur du citoyen tunisien qui en a par-dessus la tête.
Faut-il pour autant désespérer du pays et de l’avenir de notre société ? Oh que non ! Car il reste justement le citoyen ! Il lui revient à présent de sauver le pays et de sauvegarder l’esprit sain de sa société. Le danger serait de se laisser prendre au désintéressement et à la nonchalance, dont on constate la manifestation en rapport aux règles décrétées pour lutter contre la propagation de la covid. Cela est le signe d’un état d’esprit qui est en train de s’ancrer de manière dramatique et dont les effets seraient catastrophiques.
Que les citoyens sachent que, dans une société nourrie de l’espoir de démocratie comme nous voulons notre Tunisie, ce sont eux qui imposent les règles du jeu et qui se les imposent pour le bien de tous. Aujourd’hui, l’urgence y est et la société civile a le devoir, plus que jamais, d’engager une intelligence citoyenne pour une action civile et civilisée à même de redresser la voie de la démocratisation et de ranimer la machine du développement intégral, sur la plateforme éthique requise et le fonctionnement sociétal idoine.
La recette ? La coordination et la collaboration, dans le respect, pour le bien de tous afin d’instaurer l’égalité juridique, la liberté culturelle et la solidarité économique !