Ce mercredi 4 novembre 2020 devrait être commémorée la clôture de la dixième année du décès de Tahar Chériaa, le fondateur des Journées cinématographiques de Carthage et le « père du cinéma arabe et africain » comme se plaisent à le baptiser de nombreux spécialistes dans le monde.
Pourtant, rien chez nous n’indique que quiconque se préoccupe de cet indice de reconnaissance à la mémoire d’un homme qui a voué sa vie à servir son pays, la culture, et une certaine pensée de l’humanité. Tout juste une association, semble-t-il, et non celle qui le devrait de plein devoir avant le droit, s’active à faire ce qu’il faut avec un dernier sursaut de soutien du ministère de tutelle dû à l’intervention de son Chef de cabinet. Il s’agit de l’association « Questions et Concepts d’Avenir » qui a trouvé raison d’agir dans son objet à travers deux concepts-clés de notre existence : la mémoire et l’avenir. Aussi a-t-elle donné à son action le titre plein de sens « Tahar Chériaa : Mémoire pour l’avenir ».
Mon propos ici n’est pas de couvrir cette action, mais d’en creuser légèrement la signification pour inviter à la réfléchir et à en tirer quelques enseignements. Il paraît clair que l’intention n’est pas plus le culte d’une personnalité disparue que le souci de « regarder le passé pour éclairer l’avenir », comme dit le proverbe. Cela est essentiel, ici et maintenant, de s’y attarder le temps qu’il faut et avec la concentration nécessaire, car nous n’arrêtons pas de vivre, depuis quelques années, les signes les plus agressifs et les plus ignobles parfois à l’égard de « nos chers disparus ». Qui dit ne pas avoir besoin de la mémoire pour édifier l’avenir est incapable d’avoir un programme pour cet avenir. On ne construit rien sur rien : l’Histoire l’a amplement montré ; elle peut nous le montrer encore, pour peu qu’on l’interroge. Et c’est à cette interrogation que servent les commémorations.
Ainsi perçues, celles-ci jouent le rôle de catalyseurs de la pensée, d’objecteurs de conscience et de modérateurs des sentiments. Elles aident à réinventer le vivre-ensemble sur la base de l’acceptation de la différence comme source de richesse. Elles participent de la cohésion sociale en donnant un sens noble à la succession des générations, à l’alternance des pouvoirs et à la relativisation des vérités exclusives. Dans le cas précis qui nous occupe ici, Tahar Chériaa et son œuvre présentent plusieurs amers à même d’inspirer la jeunesse d’aujourd’hui et de lui montrer que rien ne peut constituer un infranchissable obstacle devant la réalisation de soi. Tant que l’aspiration à l’affirmation de soi existe, le destin ne peut que se ranger de son côté, comme a dit Chebbi, notre poète. Il faut juste trouver la bonne voie et cela se fait en actualisant les expériences d’autrui, celles du passé, nos pour les mimer ou les copier, mais pour les confronter aux exigences et aux conditions de faisabilité que le présent impose sur la voie du progrès et de l’avenir.
Que retenir donc de Tahar Chériaa, dans cette perspective ? D’abord le jeune berger qui, à quatorze ans, décide d’entrer à l’école et qui fait ses six ans du primaire en trois ans seulement. Le bachelier qui se met à enseigner au primaire, très jeune, et poursuit ses études en parallèle jusqu’à obtenir les diplômes l’habilitant à enseigner dans le secondaire. L’enseignant qui a pris conscience, très tôt, que sa mission ne se limite pas à la classe mais à investir la société de tout son désir d’être et de faire pour permettre à sa conscience citoyenne de s’y exprimer et d’y jouer, du meilleur possible, le rôle qui lui semble lui revenir de droit et de devoir.
Rien que cela, à part tout le reste qui n’est pas dit ici et qui est en principe communément connu, mérite qu’on commémore aujourd’hui la dixième année du départ de cette âme citoyenne pour signifier que jamais ne part un esprit qui sert l’humanité.
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