Un livre qu’on finit de lire vous laisse un peu perdu, comme face à une “statue de silence “. C’est l’éloignement d’un être cher. Mon dernier, celui que je viens de refermer est “Cheikhs en Confidences ” de Monia Mouakhar Kallel. L’expression est d’elle, comme beaucoup d’autres, belles, qu’on reprendrait bien à son compte.
Ceux qui sont intéressés par la sociologie et l’histoire, peuvent y vivre l’avènement d’une nouvelle époque, la naissance d’une nouvelle société sur les restes de celle qui se meurt, y découvrir des militants dans l’action clandestine et les déchirements opposant les personnalités rivales.
Parallèlement au social et au politique, les individus évoluent, se réalisent, déchantent ou dégringolent, se ressaisissent… On les accompagne tant le livre se lit et se vit dans le partage et l’échange. C’est carrément une histoire d’amitié qui se noue entre le lecteur et les personnages au son des voix, au rythme des émotions, du dynamisme des femmes et des années qui passent. Elle se tisse sur l’amitié, toile de fond du livre, oh ! combien paisible et réconfortante, entre les deux principaux héros.
Les nostalgiques, peuvent replonger dans un bain linguistique d’autrefois, entendre leurs mères tantes ou grands-mères. Et quel plaisir ! Monia Mouakhar Kallel glisse à l’envi dans la peau des gens de l’époque, les perçoit de l’intérieur, adopte leurs âmes, ressent avec leurs coeurs, parle leur langage. Un don de grand acteur capable de jouer tous les rôles sans que cela sonne faux. Forte Monia qui écrit, fine, subtile car elle reste aussi l’observatrice qui fait la part des choses maîtrisant à merveille ses multiples héros. Un don de marionnettiste ou de magicien qui ne manipule que les mots. Mais c’est là toute la performance de l’art littéraire. Pour son jeune cheikh, les mots “comblaient sa solitude, lui ouvraient le monde. Assis à l’ombre d’un palmier devant le rivage bleu, il lui semblait que les mots dansaient avec les vagues cristallines, s’en allaient vers l’horizon scintiller entre ciel et mer ” lit-on à la page 95.
L’auteur à propos d’un déménagement écrit :” Aux quatre coins du patio étaient dispersés les meubles démontés, les matelas, les rideaux, les lustres…” rien à signaler jusque-là, mais quand elle ajoute :”sur les murs nus, figuraient les traces des étagères et les auréoles des bibelots enlevés ” (p. 177), je souris de si bon coeur tant ce détail renferme le charme de l’écriture.
Par Raya Bennaji