Le 26 novembre 2013, je publiais ici même (jawharafm.net) une chronique sous le titre « L’Effet divers du fait divers ». Je la commençais ainsi : « L’Effet divers du fait divers. Voilà bien une citation de Claude Roy qu’il convient de toujours se remémorer en situations variables, pour raisonner des effets et des causes de certains faits de société ! » J’avais changé intentionnellement le pluriel de la citation source (« L’effet divers des faits divers ») par un singulier, à la recherche d’un certain effet insinué dont je ne sais s’il était relevé. Aujourd’hui, j’y reviens et je récupère mon pluriel, sous l’effet d’un nouveau contexte.
Le contexte actuel, on l’a sans doute deviné, c’est tout ce qui se passe dans mon pays et qui me semble relever d’une déroute caractérisée. Une violence presque généralisée est d’abord classée dans le fait divers, puis dénoncée autour de la théorie du complot. Finalement, nous voici avec une opposition qui présage d’une seconde révolution et d’un gouvernement qui parle à la façon d’un « je vous ai compris, mais… ». J’ai bien peur que, dans tout cela, l’essentiel reste de l’ordre des faits divers sans effets autres que des paroles de circonstance ou qu’il ne soit qu’une autre façon de monter le spectacle d’une bataille à mort pour le pouvoir !
N’empêche que dans la dernière allocution télévisée du président du Gouvernement, le 19 janvier 2021, un mot a retenu mon attention : l’écoute. Noble mot qui est toujours énoncé comme le prélude d’un salut programmé ! Mais voyons, en pratique, sommes-nous vraiment dotés, tous autant que nous sommes, d’une vraie compétence d’écoute ? Permettez-moi d’en douter car notre inscription dans la logique de l’écoute inscrit celle-ci dans la logique du dialogue polémique, devenu un artifice littéraire, plutôt que dans celle de la conversation où tous les participants ont le même statut et le même droit à l’intelligence collective et à l’information du destin, au sens philosophique du terme.
Curieusement, le contexte national actuel en a croisé un autre, celui de la première puissance mondiale, les USA, investissant le 20 janvier son nouveau président. J’ai failli me laisser séduire par le nombre de fois que l’écoute a été dite ou signifiée dans son discours ; j’étais tenté d’y voir l’amorce d’une pacification de notre monde et son salut. Mais voilà que très vite un refrain opiniâtre a jailli dans le discours du nouveau président : « Nous sommes les plus forts, nous avons toujours gagné ».
De fait donc, quand un politique parle d’écoute, il entend cela comme une opportunité à même de le sortir d’une situation de crise. Alors que l’écoute est en principe un préalable à toute démarche initiatique d’un programme d’action et d’un projet de société. Mais ne diabolisons pas uniquement nos politiques parce que, à y voir de près, nous finirions par nous découvrir tous politiques. En effet, qui d’entre nous a assez d’hospitalité en soi aux idées et aux opinions d’autrui pour accepter de se remettre en question et de tout reprendre à zéro, avec autrui, sans concurrence obstinée et sans une incurable volonté de puissance ? Pour se faire, une intelligence supérieure devrait nous commander, nous faire être dans la relativité qui nous caractérise foncièrement. Dès lors, c’est la citation de Claude Roy, ou plutôt tout son poème qui serait notre ligne de conduite et l’amer éclairant notre chemin de vie.
Voici donc ce poème, de Claude Roy, que chacun devrait porter comme le bâton de Moïse dans cette nouvelle bergerie que semble devenir notre monde « moderne » :
L’EFFET DIVERS…
L’effet divers des faits divers
Les images des faits divers
nous apprennent, sans avoir l’air,
à ne pas être trop distrait.
Le nez en l’air, sans faire exprès,
on tombe d’un échafaudage,
votre cheval brise ses traits,
votre paquebot fait naufrage.
Qui donc a été si distrait ?
Les victimes du fait divers ?
Ou vous et moi, au chaud, au frais,
bien tranquilles, levant nos verres ?
Sans y penser, sans le savoir,
juste distrait,
sans le vouloir et sans le voir,
on pousse un inconnu de son échafaudage,
on fait peur au cheval qui s’emballe et s’effraie,
on ouvre une voie d’eau et provoque un naufrage.
Prenez garde d’être distrait :
l’effet divers des faits divers
a des causes bien singulières.
Le crime garde son secret.
(Publié aussi dans jawharafm.net sous le titre « L’effet divers des faits divers », rappel utile)