Je n’oublierai jamais les visites que Bourguiba effectuait à Sfax alors que j’étais très jeune, dans les années 60. Son cortège passait inévitablement devant notre appartement qui se trouvait assiégé par les citoyens qui voulaient l’applaudir de notre balcon. Pendant toute une matinée, notre appartement cessait de nous appartenir et nous-mêmes propriétaires de la maison, nous ne pensions plus qu’à saluer le Chef. Nous adorions son sourire charismatique, quasiment fusionnel, surchargé d’affection, d’émotion. Il nous envoyait des gestes de bises. Le ciel de la ville de Sfax se remplissait de “YAHIA BOURGUIBA”.
Huit grandes leçons sont à tirer des qualités et de la démarche politique de Bourguiba:
– Le patriotisme et l’amour indéfectible de la Tunisie
– Le sens du leadership
– La verve rhétorique
– Le sens de l’endurance, de la combattivité et du sacrifice
– Le sens de la pédagogie: savoir expliquer et persuader
– L’art d’agir par la parole, illustrant à la perfection le principe de la pragmatique: “how to do things with words”
– La capacité prospective
– L’aptitude à négocier avec l’adversaire tout en sachant que des moments de rupture totale sont indispensables.
Il faudrait néanmoins reconnaître que les imperfections de la carrière de Bourguiba viennent de l’idolâtrie politique. Au fond, le peuple tunisien -dans sa majorité- en avait voulu ainsi. Mais, le miracle de Bourguiba est d’avoir mis la centralisation du pouvoir et les tendances autoritaires au service d’une vision moderniste de la société.
La Tunisie d’aujourd’hui a sans doute besoin d’un homme comme Bourguiba à la fois fort, audacieux, passionné, patriote, charismatique, et éclairé. Un homme apte au dialogue tout en étant intransigeant quant aux valeurs républicaines.