Dans ma précédente chronique « Repenser la Cité », j’écrivais que nous sommes aujourd’hui tentés, secoués même, par l’interrogation du concept de la Cité et des implications de cette interrogation dans notre façon de repenser notre avenir.
Or un ami et fidèle lecteur m’a fait la remarque que cette question en entraîne une autre, celle posée une fois par Roland Barthes pour un autre sujet : « Par où commencer ? » Je prendrais volontiers cette question dans le sens de « Par qui commencer ? » En effet, j’écrivais aussi que « la responsabilité est essentiellement humaine », et à mon sens, l’humanité commence par l’individu.
C’est donc l’individu d’abord qui doit prendre conscience de sa responsabilité ponctuelle dans la conduite de la destinée collective, aussi minime que paraisse cette responsabilité parce qu’en tant que telle, elle n’en est pas moins déterminante. Un individu conscient et responsable est celui-là qui s’implique dans un rapport d’interaction avec d’autres individus pour évoluer avec eux dans un mode conversationnel, en sachant faire la part des choses et des priorités et en acceptant de relativiser ses propres vérités pour tenir compte des autres considérations auxquelles il peut ne pas être sensible par un quelconque obstacle naturel, psychique ou culturel. C’est pourquoi je disais voir, dans l’idée de « repenser la Cité », d’abord « une révision de soi ».
En effet, le fait d’accepter de se remettre en question n’est pas une preuve de faiblesse ou de manque d’esprit d’entreprise, comme on a tendance à le croire ! C’est au contraire, dans la conviction même de faire ce qu’il faut à l’instant où cela doit se faire, garder une marge de doute, celui-ci étant conçu comme « le point de départ d’une recherche incessante et non l’aboutissement d’une affirmation absolue, perçue comme la Vérité ». Un doute d’humilité ! Un peu comme de parler d’une humilité scientifique. Ce capital méthodique est aussi une valeur éthique puisqu’il suppose le respect d’autrui et la relativisation des choses.
Fort de cet acquis, l’individu peut être constructif dans la société où qu’il ait à agir : dans la famille, à l’école, dans la vie professionnelle, ou dans la vie de tous les jours en milieu social. Son comportement devient petit à petit une invitation implicite à ses semblables pour qu’ils se dotent de cette qualité qui, redisons-le, ne saurait constituer un obstacle à l’action, mais plutôt une hospitalité à l’interrogation constructive et à la révision réformiste et méliorative. Car, nous savons certes que nos sens peuvent nous tromper ; mais il ne faudrait pas exclure le fait que notre raison aussi peut nous tromper. À preuve les théories scientifiques les plus tonnantes à un moment de l’histoire de l’humanité ont pu être remises en question et dépassées par d’autres vérités, nouvelles et toujours provisoires. Oui, « la raison ne permet pas d’établir des vérités absolues », mais elle n’arrête ni l’action ni le progrès.
Tel nous paraît être le point de départ d’une nouvelle pensée de la Cité, à partir d’une nouvelle pensée de l’individu. Nouvelle ! Que dis-je ? J’entends déjà comme une voix socratique ! Pourquoi pas ?
(Publié aussi sur jawharafm.net)
L’image d’illustration est empruntée à l’article « Se repenser » d’Ann Porcheret-Amara sur Linkedin